[Napoléon 3] L'empereur des rois
d’artillerie retentissent, couvrant le son des cloches. Les cuirassiers, aux immenses casques, aux uniformes blancs qui forment une haie jusqu’au palais royal, portent des torches. Le roi et la reine de Saxe attendent devant le château.
Il descend. Il aime cet accueil majestueux. Lors du Te Deum qui a lieu le dimanche 17 mai 1812 en présence des princes allemands et des ambassadeurs, il retrouve l’atmosphère qu’il avait connue à Tilsit et à Erfurt, quand les rois et les princes étaient ses courtisans.
Mais il doit les séduire. Il accueille avec respect, le lundi 18 mai, l’empereur d’Autriche François I er et la reine Marie-Ludovica. Il rend visite au roi de Prusse Frédéric-Guillaume III.
Ils savent, malgré sa bienveillance, qu’il est l’Empereur de tous ces rois.
C’est lui qui, chaque soir, au moment du dîner, conduit le cortège, marchant seul, son chapeau sur la tête. À quelques pas derrière lui s’avance l’empereur d’Autriche donnant le bras à sa fille Marie-Louise. Il est tête nue. Les autres rois et les princes suivent, chapeau bas.
Napoléon préside la table. Il raconte. Il sourit. Il séduit. Il évoque ses souvenirs de la Révolution. Il mesure l’intensité du silence. Il jouit de cette situation extraordinaire. Lui, lieutenant de cette armée de la Révolution, assis là entre ces rois, époux d’une Habsbourg. Il dit que les événements qu’il a connus alors eussent eu une autre issue si « mon pauvre oncle avait montré plus de fermeté ».
Il est le neveu de Louis XVI.
De quoi est-il fier ? De cette alliance qui a fait de lui le parent de ces souverains, ou du destin qu’il a accompli et qui fait de lui un homme d’une autre trempe que ces héritiers ? Il est un César fondateur.
Il parcourt les salons, parlant aux uns et aux autres, puis il entraîne l’empereur François et soliloque. Ce « chétif François » n’a rien à dire !
Au théâtre, avant que la représentation commence, apparaît une inscription accompagnant un soleil éclatant. Il lit : « Moins grand et moins beau que lui ». La salle applaudit.
Croit-on qu’il soit dupe ?
Il hausse les épaules.
— Il faut que ces gens me croient bien bête ! murmure-t-il.
Il chasse le sanglier dans les environs de Dresde. Sur un cheval blanc à housse écarlate chargée d’or, il parcourt les collines qui dominent la ville, devant la foule des princes et des dignitaires qui l’accompagnent, des cuirassiers qui l’escortent.
Le soir, il retrouve Marie-Louise, heureuse comme il ne l’a jamais vue. Elle est au milieu des siens et elle est à lui.
Il lui lit les dépêches qu’il reçoit de Paris et qui, chaque jour, apportent des nouvelles de leur « petit roi ».
Le mardi 26 mai 1812, un aide de camp annonce que le comte de Narbonne vient d’arriver de Russie. Il a vu Alexandre I er , qui a quitté Saint-Pétersbourg pour s’installer au milieu de ses troupes, à son quartier général de Vilna.
Napoléon reçoit Narbonne, l’écoute tout en marchant à grands pas. Puis il se tait longuement, et tout à coup il parle avec fureur.
— Ainsi, tout moyen de s’entendre devient impossible ! crie-t-il. L’esprit qui domine le cabinet russe le précipite à la guerre ! Vous ne me rapportez que l’aveu et la confirmation des propositions de Kourakine. C’est le sine qua non de la Russie ! Les princes qui sont ici me l’avaient bien dit. Il n’en est pas un qui n’ait reçu des communications à cet égard. On sait que nous avons été sommés de reprendre la route du Rhin. Les Russes s’en vantent, et maintenant la publicité met le comble à l’insulte.
Il s’interrompt quelques secondes.
— Nous n’avons plus de temps à perdre en négociations infructueuses ! lance-t-il.
Il s’enferme. Il écrit. Il faut qu’à l’arrière des troupes, dans l’Empire, le calme règne. Il ordonne qu’on fasse transférer le pape Pie VII de Savone à Fontainebleau. Le Concordat est rompu.
Puis il consulte les cartes, écrit à Davout. « Tout est subordonné à l’arrivée de l’équipage de pont, car tout mon plan de campagne est fondé sur l’existence de cet équipage de pont bien attelé et aussi mobile qu’une pièce de canon. »
Dans les heures qui suivent, il apprend que les Russes ont signé à Bucarest un traité de paix avec les Turcs qu’ils combattaient depuis des mois. C’est un autre signal. Il ne pourra pas compter sur
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