[Napoléon 3] L'empereur des rois
décisive.
Dès qu’il y arrive, il écrit à Joséphine. C’était déjà le lundi 13 octobre, à 2 heures du matin.
« Je suis aujourd’hui à Gera, ma bonne amie ; mes affaires vont fort bien, et tout comme je pouvais l’espérer. Avec l’aide de Dieu, en peu de jours cela aura pris un caractère bien terrible, je crois, pour le pauvre roi de Prusse, que je plains personnellement parce qu’il est bon. La reine est à Erfurt avec le roi. Si elle veut voir une bataille, elle aura ce cruel plaisir. Je me porte à merveille ; j’ai déjà engraissé depuis mon départ ; cependant je fais, de ma personne, vingt et vingt-cinq lieues par jour, à cheval, en voiture, de toutes les manières. Je me couche à 8 heures et suis levé à minuit, je songe quelquefois que tu n’es pas encore couchée.
« Tout à toi,
« Napoléon »
Il appelle le général Clarke, son secrétaire de cabinet, lui pince l’oreille, fait quelques pas.
— Je leur barre le chemin de Dresde et de Berlin, dit-il. Les Prussiens n’ont presque aucune chance pour eux. Leurs généraux sont de grands imbéciles. On ne conçoit pas comment le duc de Brunswick, auquel on accorde des talents, dirige d’une manière aussi ridicule les opérations de cette armée !
Il donne une tape amicale à Clarke.
— Clarke, dans un mois vous serez gouverneur de Berlin et l’on vous citera comme ayant été dans la même année, et entre deux guerres différentes, gouverneur de Vienne et de Berlin !
Il s’éloigne et lance :
— Je monte à cheval pour me rendre à Iéna.
Il arrive dans la ville au début de l’après-midi. Des quartiers brûlent. Les rues sont pleines de troupes. La Garde à pied entoure l’Empereur qui fait halte sous les tilleuls de la Grossherzogliche Schloss. Il appelle les aides de camp : il montre la hauteur qui domine la ville et qui semble inaccessible. C’est le Landgrafenberg, dont les pentes, couvertes de vigne, ne comportent que quelques sentiers étroits. On ne peut atteindre le sommet à cheval, expliquent les officiers. L’artillerie ne peut accéder au sommet.
Napoléon écoute. Un officier du maréchal Augereau, dont les troupes occupent Iéna, lui rapporte que les armées prussiennes ont quitté Weimar dans la nuit, en deux colonnes : l’une vers Nauenbourg, au nord d’Iéna, sous les ordres de Brunswick ; l’autre, qui avance vers Iéna, est commandée par le prince Hohenlohe.
Ces troupes sont donc au-delà du Landgrafenberg, à l’abri, imaginent-elles, de cette montagne infranchissable.
Napoléon s’impatiente, se rend au château ducal qui domine la ville. Il traverse les salles, les yeux toujours tournés vers le Landgrafenberg. La pente abrupte apparaît, vue du château, presque verticale, et la fumée des incendies ainsi que la brume du soir commencent à l’envelopper.
Des éclats de voix. Napoléon se retourne. Des officiers accompagnent un prêtre qui paraît exalté. Il maudit les Prussiens qui sont responsables de l’incendie de la ville et de la guerre. Il connaît, dit-il, un sentier dans les vignes qui permet d’atteindre le sommet du Landgrafenberg.
Napoléon félicite le prêtre. Il a la conviction que le destin lui fait un signe.
Il entraîne le maréchal Lannes et son état-major dans les vignes.
Le sentier est escarpé, étroit, d’une pente raide comme le toit d’une maison, lance un grenadier de la Garde qui accompagne les officiers. Mais, arrivé au sommet, Napoléon découvre un petit plateau rocailleux qui domine la plaine de Weimar où l’on aperçoit les feux de camp de l’armée prussienne.
Napoléon fait quelques pas. C’est là, sur ce plateau, qu’il concentrera ses troupes. Tout, canons compris, doit rejoindre le sommet du Landgrafenberg.
En redescendant à grands pas vers la ville alors que la nuit tombe, Napoléon donne ses ordres. Les bataillons travailleront à tour de rôle pendant une heure pour élargir le sentier. Qu’on distribue à chaque soldat des outils de pionnier. Puis ils gagneront le plateau, laissant la place à d’autres, et cela jusqu’à ce que les corps de Lannes, Soult, Augereau et la Garde à pied du maréchal Lefebvre aient pris position sur le plateau.
Il s’arrête plusieurs fois. Il faudra creuser là, ici, indique-t-il.
L’artillerie, avec ses caissons, doit passer, elle aussi. Il regarde les officiers qui l’entourent. Ils baissent les yeux. Ils approuvent.
Il descend seul, laissant son
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