[Napoléon 3] L'empereur des rois
laissiez la régence à qui vous voudrez… Et que vous partiez pour vous rendre à Bayonne par le chemin de Turin, du Mont-Cenis et de Lyon ».
Joseph est l’aîné de la famille. Il a droit à ce trône d’Espagne, que les autres frères ont refusé. Il l’acceptera. Il n’aura pas le choix .
Si ces Bourbons savaient !
Il les voit s’avancer dans le parc, vers Joséphine. Elle est la grâce. Il lui prend la main, la conduit à table. Elle présidera le dîner.
Une petite cour s’est reconstituée au château de Marracq, organisée par le grand maréchal Duroc.
Parmi les jeunes femmes qui composent la suite de Joséphine et qui s’inclinent devant lui, Napoléon aperçoit une jeune femme dont le nom lui revient aussitôt, Mlle Guillebeau, qu’il avait remarquée à l’un des bals masqués donnés à Paris par Caroline ou Hortense. Il la fixe longuement. Elle ne baisse pas les yeux. Toute son attitude dit qu’elle accepte. Napoléon se sent guilleret. Il lance un coup d’oeil à Joséphine. Elle a vu. Elle sourit, consentante. Elle ne craint pas cela. Elle souhaite même ces infidélités. Ce ne sont qu’affaires de corps. La politique et le coeur sont ailleurs. Dans le divorce, et chez Marie Walewska. Mais Marie est à Paris. Et il faut toujours prendre ce que le destin offre.
Ce soir, il rendra visite à Mlle Guillebeau, sous les combles du château.
Il s’assoit en face de Joséphine et de Charles IV. À sa droite, la reine Marie-Louise. Un couple qu’il trouve pitoyable. Au bout de la table se tient Ferdinand, dont le visage aux traits lourds dit l’avidité. « Quelque chose qu’on lui dise, raconte Napoléon, il ne répond pas ; qu’on le tance ou qu’on lui fasse des compliments, il ne change jamais de visage. Pour qui le voit, son caractère se dépeint par un seul mot : sournois. »
Quand donc les contraindrai-je à renoncer à ce qu’ils croient posséder encore, la Couronne d’Espagne ?
Il hésite. Il pense à Mlle Guillebeau, à la nuit qui vient. Il faudrait aussi un événement, un signe qui lui permette de balayer en quelques phrases les illusions de cette famille qu’il méprise.
Le 5 mai 1808, il n’a encore rien dit.
Il se promène, ce jeudi-là, dans le parc du château de Marracq.
C’est le milieu de l’après-midi. Il fait doux.
Il n’a pas pu refuser de donner son bras à cette petite femme grosse, laide, vulgaire, la reine Marie-Louise, qui respire bruyamment, se plaint d’une voix aiguë de son fils Ferdinand, ce traître. Elle se lamente des souffrances que les émeutiers ont infligées à « son » prince de la Paix, Godoy. Elle s’en remet à l’Empereur, dit-elle en lui pressant le bras. Charles IV approuve sa femme. Il se tient de l’autre côté de Napoléon. Ils sont tous deux comme des sujets qui quémandent.
Napoléon se retourne, il aperçoit Joséphine aux côtés de Duroc et de Ferdinand. Il éprouve tout à coup pour elle un élan de gratitude. Elle l’a toujours soutenu avec intelligence. Ici encore, elle écoute quand il le faut les souverains d’Espagne, elle a la grâce naturelle d’une souveraine.
Il voit un officier qui s’avance, venant du château, précédé d’un aide de camp. L’officier, dont l’uniforme est couvert de poussière, porte un gros portefeuille de cuir. Il doit être envoyé par Murat.
Napoléon s’approche en compagnie de Marie-Louise et de Charles IV.
— Qu’y a-t-il de nouveau à Madrid ? demande-t-il en reconnaissant le capitaine Marbot, un aide de camp de Murat.
Il s’étonne du silence de l’officier qui présente les dépêches, le regard fixe.
— Que se passe-t-il ? répète Napoléon.
L’officier se tait toujours.
Napoléon prend les dépêches, entraîne l’officier loin des Bourbons et, au fur et à mesure que l’on s’éloigne, le capitaine Marbot se met à parler. Sous les arbres, tout en marchant le long du mur de clôture, Napoléon écoute, lit les dépêches de Murat.
Le 1 er mai, la foule s’est rassemblée Puerta del Sol, à Madrid. Elle a été difficilement dispersée. Le lundi 2 au matin, l’émeute à l’annonce du départ de la capitale du plus jeune des fils de Charles IV, don Francisco, s’est déchaînée. Les soldats français isolés dans Madrid ont été égorgés. Plusieurs milliers d’émeutiers ont attaqué les escadrons de dragons ou de la Garde qui, venant des faubourgs, pénétraient dans la capitale. Sur la
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