[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
nouveau, a été réparé une nouvelle fois. Les troupes russes attaquent. Elles vont bombarder les ponts. Comment ces quinze mille traînards, ces isolés, ces rôtisseurs qui ne se pressent pas de passer, même quand les ponts sont vides, et qui préfèrent rôtir leur morceau de cheval en campant sur la rive est, passeront-ils ?
Il voit ce qui reste de la cavalerie franchir le fleuve près du pont avec, sur chaque cheval, un fantassin en croupe.
Il reste un long moment ainsi, cependant que la nuit tombe tout à coup et que le vent se lève. L’obscurité est d’encre, le froid n’a jamais été aussi vif, peut-être – 30°. La Bérézina va être à nouveau prise par les glaces. Et les Russes traverseront même si les ponts sautent.
Il se retire lentement, passe sur la rive ouest.
J’ai fait mon devoir .
J’ai fait sortir de Russie ceux qui étaient restés des soldats .
Maintenant que ce qui reste de l’armée a échappé au pire, a franchi le fleuve, j’ai d’autres devoirs. Reconstituer une armée, préparer la prochaine campagne .
Il dit à Caulaincourt, en s’installant dans une cabane à Zapiwski, à une demi-lieue de la Bérézina :
— Dans l’état actuel des choses, je ne peux m’imposer à l’Europe que du palais des Tuileries.
Il doit rentrer à Paris.
Il ne doit plus penser à cette rive est de la Bérézina, où la cohue des traînards et des isolés, de tous ceux qui ne peuvent plus ou ne veulent plus marcher en rang va se précipiter sur les ponts. Les obus russes ont commencé à tomber. Il les entend.
Il ne veut pas les entendre. Il doit regarder devant, vers Paris, organiser son départ.
Dans quelques jours, il pourra à nouveau communiquer avec Vilna, avec Mayence, avec Paris.
Il écrit à Marie-Louise :
« Ma bonne amie,
« Je sais que quinze estafettes m’attendent à trois journées d’ici. J’y trouverai donc quinze lettres de toi. Je suis bien chagrin de penser de la peine que tu vas avoir d’être tant de jours sans mes nouvelles, mais je sais que dans les occasions extraordinaires je dois compter sur ton courage et ton caractère. Ma santé est parfaite. Le temps, bien mauvais et très froid. Adieu, ma douce amie, deux baisers au petit roi pour moi. Tu connais toute la tendresse des sentiments de ton époux.
« Nap. »
Il ne peut rien dire d’autre pour l’instant à l’Impératrice. Mais il faudra qu’il frappe l’opinion, pour empêcher que des rumeurs ne la troublent, ne la révoltent, ne l’égarent. Et il devra surgir, comme le sauveur, rassemblant toutes les énergies autour de lui.
Il doit préparer cela. Avertir Maret, qui se trouve à Vilna, de l’état de l’armée. Pas de faux-fuyant avec ce ministre qui doit agir !
« L’armée, lui écrit-il, est nombreuse, mais débandée d’une manière affreuse. Il faut quinze jours pour les remettre aux drapeaux, et quinze jours, où pourra-t-on les avoir ? Le froid, les privations ont débandé cette armée. Nous serons sur Vilna. Pourrons-nous y tenir ? Si l’on est attaqués les huit premiers jours, il est douteux que nous puissions rester là. Des vivres, des vivres, des vivres, sans cela il n’y a pas d’horreurs auxquelles cette masse indisciplinée ne se porte contre cette ville… Si l’on ne peut nous donner cent mille rations de pain à Vilna, je plains cette ville. »
Il ne sera plus là.
Il doit partir dans les heures qui viennent. Mais il faut le secret.
Le mercredi 2 décembre 1812, il convoque l’un de ses aides de camp, Anatole de Montesquiou. Il apprécie ce jeune homme dévoué, qui s’est bien battu à Wagram et dont la mère est la gouvernante du roi de Rome. Il lui tend une lettre. Elle est pour l’Impératrice.
— Vous partirez sur-le-champ à Paris. Vous remettrez cette lettre à l’Impératrice.
Napoléon marche à petits pas dans le réduit qui lui sert de chambre. Mais on n’a trouvé que cela dans ce bourg de Sedlicz.
— Vous annoncerez partout l’arrivée de dix mille prisonniers russes, reprend-il, et la victoire remportée sur la Bérézina, dans laquelle on a pris six mille prisonniers russes, huit drapeaux et douze pièces de canon.
Napoléon se tait longuement. Ce sont les troupes d’Oudinot, puis celles de Victor qui ont connu ces succès. Les soldats de Victor ont traversé les derniers les ponts, écartant la foule des traînards. Puis Éblé, le dimanche 29 novembre, à neuf heures du matin, a mis le feu
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