[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
besoin de lui.
Napoléon rassemble les maréchaux. Murat, Ney, Mortier, Davout, Lefebvre, Bessières. Berthier, pâle, renifle et baisse la tête.
Caulaincourt croise les bras.
Ils vont tous accepter mon départ, quoi qu’ils pensent .
Ils savent que je ne m’éloigne pas pour de basses raisons. Ils m’ont vu sous les boulets et au milieu des cosaques. Ils m’ont accompagné dans le désert et dans la neige. Ils m’ont vu marcher et coucher comme un soldat, et ici, dans ce hameau de Smorgon ce 5 décembre 1812, je suis logé comme eux, à peine mieux qu’un grenadier .
Je ne pars pas pour fuir la guerre, par désertion devant le danger.
On m’accusera de tout, mais pas de lâcheté ou de manque de courage !
Je pars pour reconstituer une armée de trois cent mille soldats. Ce ne sont pas les armées russes qui nous ont vaincus. Nous les avons défaites à la Moskova, à Krasnoe, sur la Bérézina, comme nous les avions vaincues à Austerlitz, à Eylau et à Friedland. Le froid, l’hiver qui a surpris par sa précocité et sa dureté même les paysans, qui a causé de lourdes pertes aux armées russes, les prisonniers en ont témoigné, nous ont seuls contraints à faire retraite.
Au printemps, nous soutiendrons une autre campagne. Victorieuse.
Il entraîne Berthier à l’écart.
— On fera courir le bruit que je me suis porté sur Varsovie avec le corps autrichien et le 7 e corps, murmure-t-il. Cinq à six jours après, suivant les circonstances, le roi de Naples fera un ordre du jour pour faire connaître à l’armée qu’ayant dû me porter à Paris je lui ai confié le commandement.
Puis il appelle l’un après l’autre les aides de camp, les maréchaux. À chacun sa mission. Ainsi, Lauriston à Varsovie, et Rapp à Dantzig. Il les regarde fixement. Il ne veut pas de trouble, d’hésitation. Il les surveillera de Paris.
Puis il vérifie avec Caulaincourt que tout est près pour le départ à vingt-deux heures, ce samedi 5 décembre 1812.
Caulaincourt montera avec Napoléon dans la voiture traînée par les six meilleurs chevaux des écuries impériales. Le comte Wonsowicz, qui servira d’interprète, Roustam et deux piqueurs seront à cheval aux côtés de la voiture.
Il veut que suivent dans une calèche le grand maréchal Duroc, le comte Lobau, un valet de pied et un ouvrier.
Le secrétaire, le baron Fain, le ministre d’État Daru, mon chirurgien Yvan, Constant mon valet, Bacler d’Albe suivront dans une autre voiture. Je serai accompagné de deux cents hommes de la Garde. Qu’on prépare les relais et les chevaux .
Il faut le secret absolu .
Quelques heures avant de partir, ce samedi 5 décembre, il écrit à Marie-Louise.
« Mon amie,
« Je reçois ta lettre du 24. Je suis bien affligé de toutes les inquiétudes que tu as et qui dureront au moins quinze jours ; cependant ma santé n’a jamais été meilleure. Tu auras vu par les bulletins que, sans aller aussi bien que j’aurais voulu, cependant les affaires ne vont pas mal actuellement.
« Il fait un froid très violent. Dans quelques jours, je prendrai un parti pour ton voyage, afin de nous revoir bientôt. Conçois-en de l’espérance, et ne t’inquiète pas.
« Addio, mio bene , tout à toi.
« Nap. »
Dans quinze jours tout au plus, il ouvrira la porte de sa chambre.
Troisième partie
J’ai fait une grande faute,
mais j’aurai les moyens de la réparer
5 décembre 1812 – 15 avril 1813
8.
Vite, vite, vite ! Il presse Caulaincourt assis près de lui. Il presse les postillons. Maintenant que la voiture roule, il voudrait qu’elle soit déjà sous le porche des Tuileries et qu’il n’ait plus qu’à gravir les marches du perron. Vite ! Que font ces chevaux ? Pourquoi ces maîtres de poste tardent-ils ? Il pousse Caulaincourt, il descend. Mais il trébuche. Il est engoncé dans un sac en peau d’ours. Il porte des bottes fourrées, une pelisse doublée, des gants, un bonnet enfoncé jusqu’aux yeux et couvrant les oreilles. Et pourtant il a froid. Il grelotte. Il regarde les cavaliers de l’escorte qui se déplacent avec peine. Les chevaux glissent sur le verglas. Les jambes tremblent. Les hommes ont les membres gelés. Quelle température fait-il ? Moins vingt, moins trente ? Le visage de Caulaincourt est constellé de petits glaçons, sous le nez, aux sourcils, autour des paupières.
Vite, vite, vite.
Il y a eu un premier relais à Ozmania, vers minuit, ce
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