[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
visitera les fours à pain, le parc d’artillerie, les hôpitaux. Il poussera une reconnaissance à la nuit tombée, vers l’est, vers Mohilev et Vitebsk. Il chevauchera une partie de la nuit, passera une revue des divisions bavaroises ou de la Garde, à l’aube. Puis il reviendra ici étudier les dépêches, écouter les aides de camp, écrire.
« Mon amie,
« Je suis ici logé dans un couvent de Carmes, dans un très beau pays, mais bien portant. Tu vois je suis à soixante lieues de Vilna, plus loin de toi. Je suppose que tu es arrivée à Saint-Cloud. Embrasse deux fois pour moi le petit roi, on le dit charmant. Dis-moi s’il t’a fait beaucoup d’effet, s’il commence à parler, s’il marche et enfin si tu es contente de ses progrès. Ma santé est fort bonne, je n’ai rien à désirer là-dessus. Je me porte mieux qu’à Paris.
« Je pense qu’il sera convenable que tu ailles à Paris le jour de ma fête, en faisant comme je ferais pour assister au concert public.
« Mes affaires marchent bien, il ne me manque que ma bonne Louise, mais je suis aise de la savoir auprès de mon fils.
« Je vais à la messe, il est dimanche.
« J’espère que tu auras été contente de Paris et de la France et que tu l’auras vue avec plaisir.
« Addio, mio bene , tout à toi.
« On te choisira le héron que tu as demandé et on te l’enverra.
« Nap. »
Il reste un moment immobile. Quand retrouvera-t-il la France, Marie-Louise, son fils ? Les Russes se retirent. La chaleur, les distances à parcourir font fondre la Grande Armée. Le ravitaillement ne suit pas. Les traînards, les fuyards, les maraudeurs se comptent déjà par dizaines de milliers. Combien a-t-il encore d’hommes à sa disposition ? Deux cent mille ? Berthier n’est même pas capable de fournir des états précis.
Napoléon se lève, commence à dicter.
« Nous perdons tous les jours beaucoup de monde par défaut d’ordre qui existe dans la manière d’aller aux subsistances ; qu’il est urgent qu’ils concertent avec les différents chefs de corps les mesures à prendre pour mettre un terme à un état de choses qui menace l’armée de sa destruction ; que le nombre de prisonniers que l’ennemi fait se monte chaque jour à plusieurs centaines.
« Depuis vingt ans que je commande les armées françaises, je n’ai jamais vu d’administration militaire plus nulle, il n’y a personne, ce qui a été envoyé ici est sans aptitude et sans connaissance. »
Et puis il y a cela. Il relit le texte de cet appel des Russes aux soldats de la Grande Armée, rédigé en plusieurs langues et jeté aux avant-postes.
« Retournez chez vous, ou si vous voulez, en attendant, un asile en Russie, vous y oublierez les mots de conscription, et toute cette tyrannie militaire qui ne vous laisse pas un instant sortir de dessous le joug. »
Il jette cet imprimé. Il en a les mains et l’esprit souillés. Est-ce là une guerre entre souverains ?
— Mon frère Alexandre ne ménage plus rien, dit-il, je pourrais aussi appeler ses paysans à la liberté.
Mais il s’y refuse. Il a vu le long des routes, dans les masures, quelques-uns de ces moujiks.
Eugène de Beauharnais est déjà, à plusieurs reprises, venu l’inciter à abolir le servage. À quoi conduirait cette libération des esclaves ?
— J’ai vu, dit-il, l’abrutissement de cette classe nombreuse du peuple russe. Je me refuse à cette mesure qui vouerait à la mort, à la dévastation et aux plus horribles supplices bien des familles.
Qu’on ne revienne pas sur ce point.
Il s’adresse à Caulaincourt, si longtemps ambassadeur auprès d’Alexandre I er qu’il en a été dupe. Le grand écuyer continue à plaider l’arrêt de l’offensive. Il n’est pas de jour qu’avec le maréchal Berthier ils ne parlent des pertes dues à la maladie, à la désertion. Ils expliquent par la fatigue des chevaux le fait que les troupes ne puissent « éclairer » leur avance, faire des prisonniers. Ils laissent entendre que Murat fatigue inutilement ses escadrons en les lançant inconsidérablement en avant, en rédigeant des rapports trop optimistes.
— Il faut dire la vérité à Votre Majesté, disent-ils. La cavalerie se fond beaucoup ; les marches trop longues l’écrasent et on voit, dans les charges, de braves gens obligés de rester derrière parce que les chevaux ne peuvent plus fournir à une course accélérée.
Berthier, Caulaincourt ne
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