[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
remonte les colonnes dans la poussière. Les éclaireurs lui annoncent qu’on ne voit pas de Russes. À peine aperçoit-on de loin en loin des cosaques.
On passe un autre fleuve, la Vilia. Les avant-gardes sont déjà entrées dans Kovno. Les Russes se sont enfuis. La route de Vilna est ouverte. Il faut marcher, marcher, marcher vite.
Il travaille toute la journée, reçoit les éclaireurs, les courriers, dicte ses ordres, puis, à quatre heures du matin, le 25 juin, il est à nouveau en selle.
Il devine des chevaux couchés sur le flanc, le ventre gonflé, en train de mourir. Des soldats sont affalés, les bras en croix sous le soleil. On a nourri les bêtes avec du seigle vert. Et les jeunes conscrits sont morts d’épuisement après quelques heures de marche sous ce soleil de feu.
Il s’arrête, fait quelques pas en compagnie de Murat et Davout. Il faut aller vite, dit-il, surprendre les Russes, les empêcher de reculer, les contraindre à la bataille.
Quand la nuit tombe, en même temps qu’éclate l’orage, il est à l’abri dans une maison de Kovno.
Il va dormir sur ce lit étroit, dans cette pièce étouffante. Il pense à ses nuits dans les palais, à Marie-Louise, à ce fils qu’il ne voit pas.
Il faut que cette guerre soit courte.
« Mon amie, écrit-il à l’Impératrice, j’ai passé le Niémen le 24, à deux heures du matin. J’ai passé la Vilia le soir. Je suis le maître de Kovno. Aucune affaire importante n’a eu lieu. Ma santé est bonne mais la chaleur est excessive.
« Je pars cette nuit, je serai à Vilna après-demain. Mes affaires vont bien.
« Sois gaie, nous nous verrons à l’époque où je te l’ai promis.
« Tout à toi. Ton fidèle époux.
« Nap. »
2.
Napoléon roule vers Vilna. Les Russes refusent de se battre. Leur général, Barclay de Tolly, recule.
Napoléon se penche hors de la voiture. La poussière lui entre dans la peau, colle aux yeux. La chaleur lui rappelle les déserts d’Égypte, mais elle lui paraît plus étouffante encore, sale et moite. Et souvent, la nuit, des pluies d’orage froides transforment les chemins en torrents boueux. Puis, le matin, quelques heures suffisent pour sécher la terre et faire se lever la poussière.
Il dépasse les colonnes de troupes, des chevau-légers wurtembergeois. Il voit derrière le rideau de poussière les cadavres des chevaux qu’enveloppent des nuées de mouches. Il aperçoit dans les champs des cavaliers et des fantassins isolés, sans doute à la recherche de nourriture, car les approvisionnements ne suivent pas.
Mais il faut avancer, avancer.
À quelques lieues de Vilna, le dimanche 28 juin, il monte à cheval.
La ville est belle, mais les habitants, des Polonais pourtant, ne crient pas leur joie. Où est l’enthousiasme qui, il y a quelques jours, l’accueillait dans les villes polonaises de l’ouest du Niémen ? Ces Polonais-là sont-ils satisfaits de leurs maîtres russes ? Veulent-ils, oui ou non, une nation ? Qu’ils le montrent, et pas seulement en palabrant dans la Diète polonaise réunie à Varsovie.
Il entre dans la maison qu’a occupée il y a quelques jours Alexandre I er , qui y avait établi son quartier général au milieu de ses troupes. Il parcourt les pièces. Il éprouve un sentiment de puissance, mais sans joie.
Berthier lui annonce que sur la route entre Kovno et Vilna des milliers de chevaux ont péri – la chaleur, le seigle vert, l’épuisement. Peut-être dix mille bêtes. Des hommes se sont suicidés, accablés par la marche. Ils portent trente kilos, ils étouffent. Ils sont déjà atteints de dysenterie, harcelés par les moustiques. Ils n’ont pas de pain.
Napoléon s’emporte. Il faut que les généraux se lèvent à quatre heures du matin, aillent eux-mêmes aux moulins, à la manutention, et fassent faire trente mille rations par jour ! Mais s’ils dorment, s’ils se contentent de pleurer, ils n’auront rien !
Il consulte les cartes, les registres des armées.
« On perd tant de chevaux dans ce pays-ci qu’on aura bien de la peine, avec toutes les ressources de la France et de l’Allemagne, à maintenir monté l’effectif actuel des régiments », dit-il.
Et la Garde ? Elle doit être préservée à tout prix. Elle doit être assurée de vingt jours de vivres. Elle doit donner ainsi l’exemple de la discipline.
Il fait sortir tout le monde de son cabinet, à l’exception de Caulaincourt et Berthier.
Il
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