Néron
cour imitait. Il incarnait l’élégance. Il savait aussi imaginer pour chaque nuit de nouveaux plaisirs.
Néron souriait.
Il se souvenait des heures de débauche, de l’amitié qu’il avait ressentie pour Pétrone plus que pour n’importe lequel de ses courtisans.
Il disait :
— Pétrone dort le jour et vit la nuit.
Tigellin insistait :
— Toi, tu es jaloux de Pétrone, observait Néron d’une voix enjouée.
Il rappelait que Pétrone était un bon poète, mais aussi qu’il avait administré avec talent, comme proconsul et consul, la Bythinie.
— Il aime trop le plaisir pour conspirer. Mais tu as peur que je ne t’oublie pour Pétrone, ajoutait-il comme on excite son chien.
Et Tigellin avançait avec fougue de nouvelles raisons de se défier de Pétrone.
Il y avait le fils de Poppée, Ruffius Crispinus, qui, dans ses jeux, avait pour habitude de s’attribuer le rôle d’empereur. Qui sait si, un jour, son père n’utiliserait pas cet enfant pour rassembler autour de lui des conspirateurs ?
Néron grimaçait, marmonnait :
— Empereur ? Il se croit empereur…
Il y avait Thrasea le vertueux, le sénateur respecté, dont on disait qu’il était le nouveau Caton.
Néron savait-il que Thrasea avait refusé de prêter le serment solennel à l’empereur ?
Néron se souvenait-il que Thrasea avait refusé d’accorder les honneurs divins à Poppée ?
Et que, plus avant encore, il avait quitté le Sénat pour ne pas avoir à condamner Agrippine ?
Des esclaves de sa maison avaient rapporté que sa fille Servilia, d’à peine vingt ans, avait vendu toutes les parures qu’elle avait reçues en dot pour rassembler l’argent destiné à la célébration des rites magiques qui devaient attirer le malheur sur l’empereur et protéger son père.
Il fallait donc que le Sénat juge et Thrasea et Servilia. Cossutianus Capito serait l’accusateur. Et les sénateurs voteraient la mort.
Il le fallait : Thrasea voulait être le nouveau Caton, mais un Caton vainqueur de César.
Et il y avait aussi le général Corbulon qui avait sous ses ordres en Asie la plus grande armée romaine depuis celle qu’avait jadis commandée Auguste. Sa sœur avait épousé l’empereur Caligula. Il était donc entré dans cette famille dont les membres pouvaient aspirer à l’Empire.
Son gendre Vinicianus avait lui aussi la confiance de l’armée. Il était ici, à Rome, aux côtés du roi Tiridate, et commandait les trois mille cavaliers qui avaient accompagné le roi.
— Méfie-toi, chuchotait Tigellin, de Vinicianus et de Corbulon. Pison ne disposait d’aucune légion, pas même d’une cohorte. Ceux-là ont une armée, et qui sait si les légions de Germanie et celles de Gaule ne se rallieraient pas à l’armée d’Asie ?
La sueur couvrait maintenant le visage de Néron.
Il se mordillait les ongles.
Il regardait les prétoriens de son escorte avec de l’effroi dans les yeux.
Puis il murmurait que Rome ne songeait qu’à le fêter. Il était l’empereur du genre humain qui avait établi la paix sur le monde.
Sa voix tremblait d’angoisse et de colère.
— Et on se dresse contre moi ! On me trahit, moi qui fais la grandeur de Rome, moi qui sacre les rois ?
Il s’approchait de Tigellin.
— Va, Tigellin, va !
Puis, redressant la tête, il se plaçait au milieu de l’escorte et s’en allait rejoindre le roi Tiridate.
Ils sont tous morts, ceux que Tigellin et ses délateurs ont désignés à Néron.
Tant d’avidité et de perversion serviles, le gaspillage de tant de sang humain, le plus clair, le plus pur, rebute l’esprit et serre l’âme de tristesse.
C’est l’enfant, le fils de Poppée, Ruffius Crispinus, qui est mort le premier.
Des esclaves l’ont noyé alors qu’il pêchait en mer.
Son père a été tué par un centurion quelques jours plus tard.
Puis est venu le tour de Mêla.
Il était riche. Il avait renoncé à toute magistrature, soucieux seulement d’agrandir ses domaines et de remplir ses coffres.
Ses deux frères, Sénèque et Gallio, avaient été contraints de se suicider, tout comme son fils, Lucain. Et son épouse Epicharis n’avait échappé au bourreau qui la torturait que par la mort.
Il avait rédigé son testament. Mais qu’en serait-il de ses biens ? Néron dépouillait les cadavres.
Mêla a rencontré Tigellin et Cossutianus Capito. Il avait préparé son poignard et ses tablettes testamentaires. Il leur
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