Néron
coagulée.
Ma Rome était puissante, glorieuse, invincible.
Elle faisait s’agenouiller ce roi parthe qui croisait les bras en signe de soumission et suppliait Néron de le faire roi.
En habit de triomphe, entouré de tous les sénateurs, devant le forum rempli des cohortes prétoriennes avec leurs enseignes, Néron retira à Tiridate sa tiare et posa sur son front une couronne.
Pour la première fois, Rome imposait sa loi jusqu’aux confins de l’Asie, et c’était Néron, le tyran, cet empereur histrion, qui triomphait.
J’écoutai la foule l’acclamer. Elle était ivre d’enthousiasme, d’orgueil et de joie.
C’était une journée d’or.
Jamais on n’avait vu défiler dans Rome un cortège aussi somptueux, le roi, la reine avec sa visière d’or, leurs enfants, les parents des rois d’Asie, et trois mille cavaliers à la tête desquels se trouvait Vinicianus, le gendre du général Corbulon.
J’ai parcouru les rues de la ville.
Rome était cette nuit-là tout illuminée.
Des courses de chars se déroulaient à la lueur des flambeaux et des torches. Quand le jour se levait, les spectacles continuaient de plus belle.
Les tout premiers s’étaient déroulés à Naples où Néron s’était rendu pour accueillir Tiridate. Puis la caravane royale avait pris la route de Rome, s’arrêtant dans la plupart des villes traversées.
À Puteoles, un riche affranchi avait offert au roi et à l’empereur des duels de gladiateurs éthiopiens. Plus loin, un combat avait opposé des hommes nus à des bêtes fauves.
J’ai fait partie de ceux que Néron avait invités à se joindre à lui pour accueillir Tiridate, puis à l’accompagner de Naples à Rome.
C’est ainsi que je suis rentré dans ma ville.
Je l’ai découverte avec les yeux d’un étranger, vaste, puissante, riche, joyeuse, peuplée d’une foule qui acclamait Néron. Sénateurs, chevaliers, prétoriens étaient à l’unisson.
« L’empereur défait et fait les rois de toutes les nations », « L’Empereur établit la paix sur tout le genre humain », répétait-on.
Et le roi Tiridate, entouré de ses femmes et de ses prêtres, de ses cavaliers et de ses parents, répétait qu’il était soumis à Néron.
Un préteur traduisait ses propos à l’intention de la plèbe. On les applaudissait. Puis le roi Tiridate dit qu’il allait reconstruire sa capitale, Artaxata, et lui donner, si l’empereur, l’y autorisait, le nom de Neroneia.
Néron s’est avancé et a invité Tiridate à se relever.
Il lui a donné l’accolade.
Je me suis senti seul, pressé au milieu de cette foule, face à ces cohortes de prétoriens portant fièrement leurs enseignes.
Christos, dis-moi qui, dans cette grande fête glorieuse, dans ce triomphe de Néron, tyran d’à peine vingt-neuf ans, se souciait des suppliciés ?
45
Je n’ai pas oublié les suppliciés, mais je n’ai rien tenté pour empêcher de nouveaux crimes.
Je savais pourtant que les délateurs et les tueurs étaient toujours à l’œuvre.
Chaque jour, Tigellin et son gendre Cossutianus Capito, leur complice Sabinus et tant d’autres, ceux qu’on appelait les « pires amis du prince », livraient à ce dernier les noms de leurs proies.
Néron faisait la moue, semblait hésiter.
Il se préparait à se rendre au forum pour y donner l’accolade au roi Tiridate devant toute la plèbe assemblée.
Son escorte de prétoriens l’y attendait.
Il paraissait ennuyé d’avoir ainsi, en ces jours de triomphe, à se soucier de ceux qui, parfois, avaient été ses plus proches amis, avec qui même il avait partagé ses nuits de débauche.
Il écoutait pourtant, la tête un tantinet penchée.
Les délateurs égrenaient leur liste.
Il y avait Mêla, si riche, père de Lucain, le conspirateur déjà condamné. Mais que Néron veille à ne pas oublier que Mêla était aussi l’époux d’Epicharis, cette femme qui s’était étranglée plutôt que de révéler le nom des conjurés…
Et Néron ajoutait alors que Mêla était le frère de Sénèque.
Il y avait Pétrone.
Néron secoua la tête. Tigellin s’interrompit, ne reprenant que lorsque, d’un regard, l’empereur l’eût invité à poursuivre.
Pétrone, continua Tigellin, était l’ami de Scaevinus, celui qui avait voulu tuer Néron de sa main.
— Pétrone…, murmurait Néron d’une voix étonnée.
Il aimait Pétrone. Il suivait ses avis. C’est Pétrone que tout le monde à la
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