Néron
Néron.
On osait à peine lever la tête pour regarder le ciel qui se couvrait de nuées, qu’envahissaient des vents d’orage, des tempêtes porteuses d’épidémies.
Les villas étaient détruites, les arbres arrachés, les moissons saccagées dans toute la Campanie.
À Rome les maisons s’emplissaient de cadavres, les rues de cortèges funèbres. Personne, ni les chevaliers, ni les sénateurs, ni les citoyens de la plèbe, ni les esclaves, n’échappait à la maladie.
On dressait des bûchers pour brûler les morts.
Et souvent les prétoriens y jetaient des vivants dont le corps, à ce qu’il leur semblait, était déjà atteint par l’épidémie.
Je survivais.
Cette année souillée par tant de crimes s’achevait ainsi par la révolte des éléments qui venaient, comme un tonnerre, rappeler que le monde avait une âme et qu’elle pouvait elle aussi, comme celle de Gavius Silvanus, s’affirmer libre.
Et je remerciais pour cela le dieu dont Néron avait persécuté les croyants.
DIXIÈME PARTIE
44
Je voulais croire à Christos, le dieu nouveau.
Mais j’ai souvent douté de son pouvoir.
Je l’invoquais, puis je regardais Néron, assis dans sa loge au centre de l’amphithéâtre. Son visage empâté était maintenant recouvert d’une fine barbe, comme s’il avait voulu rappeler qu’il descendait des Ahenobarbi, qu’il avait lui aussi une « barbe d’airain » et qu’en sa personne toutes les branches des familles qui avaient régné depuis Auguste et César se réunissaient.
Il était le tronc puissant de l’Empire.
Il se lève.
Il porte souvent une tunique de théâtre, ou bien la casaque verte de l’écurie qu’il revêt lors des courses de chars. Et le cirque ou l’amphithéâtre sont drapés d’étoffes de cette couleur.
La foule l’acclame, obéissante. Elle est plus servile que le plus veule des esclaves. Elle attend que Néron donne le signal du départ de la course de chars, ou de l’entrée des bêtes fauves ou des gladiateurs dans l’arène.
Elle est reconnaissante. Elle ne se soucie pas de la mort qui menace les âmes libres.
Néron la gave de fêtes, de concours, de jeux, de spectacles, de distributions de sesterces et de grain.
Il se dresse sur la pointe des pieds. Son corps est gonflé, ruisselant de vanité, comme si tout le sang de ses victimes, qui a tant coulé au cours de cette année souillée de crimes, l’avait repu, épanoui.
Que fais-tu, Christos ?
Es-tu moins puissant que ces dieux de Rome ou d’Orient devant lesquels Néron dépose ses offrandes, accomplit les sacrifices ?
Je l’observe.
Un jeu de miroirs renvoie vers lui, sur son visage, l’éclat vermeil du soleil à son crépuscule.
Il est dieu. La foule crie que Jupiter l’a protégé et choisi pour qu’il défende Rome et son Empire. Il est le protecteur de la plèbe et le grand pontife qui célèbre le souvenir d’Auguste.
Que fais-tu, Christos ?
Tu laisses mourir les âmes libres.
Tu es le ressuscité qui annonces la résurrection, mais je ne vois aucun des nobles morts se lever !
C’est Tigellin qui triomphe.
Debout près de Néron, il lui parle à l’oreille. Néron lève un peu la tête, comme si ses mots lui caressaient le cou, la nuque. Il fait un pas, et la foule l’incite à rejoindre la scène.
Il va chanter, déclamer, jamais lassé, toujours avide d’applaudissements, de couronnes.
On murmure qu’il va descendre nu dans l’arène, tel Hercule, et qu’il terrassera un lion – que des poisons auront sans doute assoupi – soit en l’assommant à coups de massue, soit en l’étouffant entre ses bras.
Je n’ai pas vu cela, mais la rumeur de cet exploit se répand dans Rome : Néron est Apollon ; Néron est Hercule ; Néron est le dieu de Rome et du monde.
On dit qu’il a sacrifié au culte de Mithra, qu’il est descendu au fond d’une fosse au-dessus de laquelle on a égorgé un taureau noir ; le sang de la bête lui a inondé le corps, lui conférant force, virilité, avidité.
Tigellin, ou bien encore Sabinus – fils de gladiateur et d’une esclave, il a offert son corps et sa beauté à tous ceux qui voulaient le payer, qu’ils fussent esclaves ou chevaliers et peut-être même empereur –, lui murmure les noms des riches dont on pourrait rafler le patrimoine en les forçant à rédiger un testament en faveur de l’empereur ou de l’un de ses proches.
Il suffit d’un mot
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