Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
héros fondateurs qui ne sont qu’à elles – même si, on le verra à l’occasion, il n’est pas rare que divers voisins européens se disputent les mêmes. Ce « roman », assené par l’école et ses manuels, avait sa puissance : la preuve, on s’en souvient encore. Et il avait sa nécessité, disent ses défenseurs : il fut fondamental pour faire l’unité de la France ! Sans doute. Est-il encore si indispensable aujourd’hui ?
Je ne le crois pas. Cette mythologie nationale finit par peser très lourd sur l’idée que nous nous faisons de notre pays, de son avenir, de ses problèmes. Songez aux réflexes que nous avons tous à l’égard de la construction européenne. Je ne parle pas de la façon particulière dont se fait l’Europe aujourd’hui. Je parle de l’idée plus générale qui flotte toujours autour de ce débat depuis que l’on parle de faire l’union de notre continent : faut-il oui ou non aller vers plus de fédéralisme et donc sortir du modèle national ? Pour tous les Français, consciemment ou pas, la proposition est vécue comme terriblement risquée parce qu’ils pensent qu’elle nous forcerait à sortir d’un système dans lequel notre pays a toujours vécu. Malheureusement pour ceux qui le défendent, ce présupposé est faux. On vient de le voir – et on l’expliquera plus longuement dans les pages qui suivent –, la France n’est une nation que depuis peu, et la plupart des autres pays d’Europe le sont devenus encore plus récemment. D’autres modèles ont existé auparavant : pourquoi ne pourrait-on en inventer de nouveaux, aptes à exister après ? Je ne dis pas que cela doit nous pousser à donner dans l’heure les clés de la République au président de la Commission de Bruxelles, mais je pense que cela peut nous aider à réviser nos perspectives.
… Et autres fadaises
Revenons aussi d’un mot à ceux par qui nous avons commencé, « nos ancêtres les Gaulois ». Quoi de plus archéo que cette phrase ? Vraiment ? Songez plutôt à la façon dont les jeunes d’aujourd’hui, dans la langue des cités, appellent les Français que l’on dit « de souche » : « les Gaulois ». Bien sûr, l’expression est utilisée avec dérision, mais on voit la représentation qu’elle continue de fixer dans les esprits : il y aurait donc, dans ce pays, des demi-Français, des pas vraiment français – c’est-à-dire les plus récents – et, d’autre part, de vrais nationaux, puisqu’eux sont « de toujours », ils arrivent du fond des âges. Dès le chapitre qui suit, on constatera que cette idée, parfaitement fausse, n’est pas si neuve : elle recoupe point par point celle qui présida, il n’y a pas si longtemps, à la création de ce mythe. D’où l’importance de le détricoter.
On pourrait donner tant d’exemples qui vont dans le même sens… On le verra quand on parlera de l’importance politique des femmes au Moyen Âge, bien méconnue, ou du rapport que les sociétés d’hier ont entretenu avec leurs minorités. Que de myopie, là encore, dans le regard que nous portons sur ces questions.
Contentons-nous d’une dernière remarque. Ce livre a un angle d’attaque, on l’aura compris : il est résolument antinationaliste. Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été allergique à cette pathologie qui consiste à mettre la France au-dessus de toutes les autres nations, à la croire mère de tous les progrès, phare de toute la civilisation. Le nationalisme n’est pas une opinion, c’est une idolâtrie. J’ai l’âme trop laïque pour goûter les dévots. Cela ne signifie pas pour autant que ce travail soit « antifrançais ». Pourquoi le serait-il ? Le parti pris stupide qui consiste à dénigrer systématiquement son pays est une autre façon de le mettre au centre de tout. Mon optique est précisément inverse. Il me semble que rien n’est plus enrichissant, pour comprendre un sujet, que de le décentrer. Je n’ai rien contre la France, bien au contraire. C’est au nom de l’amour que je lui porte que j’ai entrepris d’écrire cet ouvrage : à mon sens, son passé mérite mieux que les clichés auxquels on le résume.
Pour autant, le livre que vous avez entre les mains n’a pas la prétention d’être la somme qui en finira à jamais avec les idées reçues. Il se contente de proposer à ses lecteurs un long voyage dans deux millénaires pour essayer de leur montrer qu’on peut les
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