Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
idole nouvelle, telle que personne ne l’avait jamais considérée auparavant : la France. Hier, elle était un royaume, ce patrimoine lentement constitué par les rois. Elle est devenue une créature éternelle, capable de traverser les âges, les régimes, les gloires et les malheurs, toujours elle-même, toujours grande, pure, intacte. Tant qu’à faire, on n’hésitait d’ailleurs pas à remonter bien avant Jules César pour asseoir cette digne croyance. Je retrouve cette merveille dans un manuel d’avant la guerre de 14 (le manuel Segond 1 ). Au chapitre expliquant l’évolution géologique de la terre à l’ère quaternaire, ce qui n’est pas d’hier, on lit : « À cette époque, l’Europe a à peu près sa forme actuelle, et la France est sortie tout entière des eaux. » On voit l’image : mon pays, c’est encore mieux qu’un pays, c’est carrément Vénus.
La plupart du temps, les Gaulois suffirent, ils disposaient d’un avantage certain : ils plaisaient à tout le monde. La droite nationaliste était contente de voir ainsi la « race française », comme on disait encore, assise sur cette souche issue du fond des âges. La gauche anticléricale voyait dans ces ancêtres un atout majeur : ils permettaient de commencer l’histoire de France avant l’arrivée du christianisme. C’était bien la preuve qu’elle pourrait éventuellement se perpétuer après sa disparition. Les historiens, puis les romanciers, les dramaturges ou même les chansonniers, en touillant tant et plus les rares sources dont ils disposaient dans les casseroles de leurs fantasmes, réussirent peu à peu à forger une idée des Gaulois correspondant opportunément à l’image que les Français voulaient bien avoir d’eux-mêmes : querelleurs, un peu grossiers parfois, mais au grand cœur et si braves. Et les Français, ravis, adorèrent d’autant plus leurs nouveaux grands-pères : comment ne pas les aimer ? Ils nous ressemblent tellement !
Faut-il, décidément, en vouloir aux Gaulois ? Ce serait injuste. Vous l’aurez compris en lisant ce qui précède, plus d’un siècle plus tard ils servent toujours. Ils viennent de nous permettre d’ouvrir ce livre avec une leçon que tous les grands historiens connaissent et que l’on aimerait faire nôtre tout au long des pages qui vont suivre : rien n’est plus trompeur que l’histoire comme on la raconte, rien n’est plus prudent que de s’interroger face à n’importe quel récit pour savoir qui l’a exhumé, et pourquoi.
Germains, Celtes, Romains
Dans la longue suite des siècles, nous venons d’arrêter le curseur au temps des forêts profondes de la « Gaule chevelue », comme l’appelaient les Romains : cherchons à savoir comment la raconter autrement.
Oublions donc la préhistoire et les civilisations lointaines dont on ne sait pas grand-chose et replaçons-nous aux environs des derniers siècles avant notre ère. À ce moment, il n’existe évidemment pas, dans notre Europe occidentale, de France, ni d’Allemagne, ni d’Italie, etc. En y allant à gros traits, on peut écrire que cette partie du continent se partage entre trois pôles. Au nord – dans l’actuelle Allemagne du Nord et en Scandinavie –, le monde germain. Au sud, une puissance qui n’en finit plus de croître, mais dont l’expansion se fait surtout autour du bassin méditerranéen – chez eux, la Méditerranée s’appelle Mare nostrum , c’est-à-dire « notre mer » : Rome. Et au centre, installés là par migrations successives, éparpillés sur un arc qui englobe les îles Britanniques et va d’Espagne au haut Danube, des multitudes de peuples, de tribus qui ne se vivent pas eux-mêmes comme unis, mais qui parlent des langues voisines, croient en des dieux semblables, et en sont au même degré de civilisation : les Celtes. On le sait aujourd’hui grâce aux fouilles archéologiques, aux nombreuses tombes royales ou princières découvertes en Autriche, en Suisse, en France : ils ont développé une culture brillante dont on a longtemps perdu la trace car ils n’utilisaient que très peu l’écriture : leur agriculture était prospère, leur travail des métaux élaboré, leur art des bijoux remarquable. Et on sait aussi qu’ils ne sont absolument pour rien dans l’érection des menhirs et des dolmens – ces constructions les précèdent d’un millénaire –, mais c’est une parenthèse.
Ils font du commerce avec leurs voisins du
Weitere Kostenlose Bücher