Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
qu’il n’en est pas de meilleure pour comprendre le monde dans sa grandeur et sa complexité. C’est peu dire que de la voir réduite à la répétition ad nauseam de ce ramassis de truismes me porte sur les nerfs depuis longtemps. Quelle attitude devais-je adopter pour parvenir à les calmer ? Tenter le bref essai distancié et moqueur, voire un « grand bêtisier de l’histoire de France » épinglant les unes après les autres toutes les perles qui émaillent le discours commun et les livres qui se vendent ? Au mieux, il aurait fait rire trois initiés. Remonter sagement sur mon petit Aventin et oublier les bruits du monde, en m’adonnant à ma distraction favorite, et relire l’œuvre complète de tous les émules de Marc Ferro, de Georges Duby, ou de Fernand Braudel. L’auteur de La Méditerranée ne nous a-t-il pas enseigné l’importance du temps long pour espérer voir les mentalités humaines se modifier en profondeur ?
Il m’a semblé que ce goût pour les spécialistes de l’histoire d’hier ou d’aujourd’hui pouvait me pousser à quelque chose de plus productif : les lire à nouveau, chercher à comprendre au plus juste ce qu’ils nous disent sur chacune des périodes qu’ils ont étudiées, et tenter de me faire le passeur de leur travail pour tordre le cou méthodiquement à toute cette mythologie qui nous encombre, et montrer que l’on peut raconter autrement les deux mille ans qui nous précèdent. Mon plan est simple : il suit pas à pas l’ordonnancement le plus traditionnel, le plus archétypique de l’histoire à l’ancienne – les Gaulois, les Francs, le Moyen Âge, etc. –, et s’attache à faire défiler les unes après les autres toutes les figures les plus classiques qui en formaient la galerie, pour revisiter le tout, mythe après mythe en quelque sorte, et redonner à l’ensemble un sens général différent.
L’enjeu de l’entreprise n’est pas mince : il s’agit d’essayer de proposer aux Français une histoire qui soit adaptée à notre temps. De tenter en somme, à l’ombre des grands historiens, une première histoire de France à l’usage des citoyens du xxi e siècle.
Sans doute quelques-uns trouveront cette idée paradoxale. Pourquoi est-il donc nécessaire d’ adapter le passé ? N’est-il pas fixé une fois pour toutes ? Eh bien, non. Rien n’est plus changeant que les mondes disparus. Le public considère souvent l’histoire comme une science exacte. Tous les historiens savent à quel point elle est une science humaine, tellement humaine, soumise aux obsessions, aux tabous, aux structures mentales d’un moment. Chaque époque a inventé sa façon de raconter l’histoire.
Sous la monarchie d’Ancien Régime, par exemple, l’exercice consistait le plus souvent à détailler la généalogie des rois et des princes, tout en soulignant au passage leurs vertus surhumaines et leur bravoure : il aurait été bête de rater une occasion d’obtenir de son souverain une coquette pension. Avec la Révolution française, le pouvoir change de structure. On était une monarchie , c’est-à-dire un pays dans lequel le seul lien qui compte est celui qui lie chaque sujet à son roi. En 1789, on devient une nation , c’est-à-dire un pays où le lien principal est horizontal, un pays où l’ensemble des citoyens à un moment donné veut se sentir un destin commun. Du coup, on en vient rapidement à essayer de retailler le passé selon le même patron. Le xix e nationalise allègrement les siècles qui précèdent. Tous les conflits des temps féodaux, par exemple des batailles entre petits rois d’ici et de là, qui sont cousins, sont repeints en guerres nationales, comme si l’histoire ne servait jamais qu’à annoncer la guerre de 1870 – ou plus loin, la guerre de 1914, même si, je vous le concède, les historiens du xix e siècle pouvaient difficilement l’avoir en tête. La France, nouvelle divinité absolue, est mise au centre de tout. Les héros qui passent par les manuels, les Du Guesclin ou les Jeanne d’Arc, sont recarrossés en patriotes , quitte à pratiquer un anachronisme consternant, on le verra.
Le roman national
Ainsi, comme cela se produit en même temps dans les autres pays d’Europe, se bâtit peu à peu ce que l’on appelle « le roman national », cette grande épopée qui vend l’idée de nations issues du fond des âges, possédant chacune une âme propre, un génie, un peuple et sa longue file de
Weitere Kostenlose Bücher