Notre-Dame de Paris
les abbayes, avec une sévérité pleine d’élégance, une sculpture moins évaporée que les palais, une architecture moins sérieuse que les couvents. Il ne reste malheureusement presque rien de ces monuments où l’art gothique entrecoupait avec tant de précision la richesse et l’économie. Les églises (et elles étaient nombreuses et splendides dans l’Université, et elles s’échelonnaient là aussi dans tous les âges de l’architecture depuis les pleins cintres de Saint-Julien jusqu’aux ogives de Saint-Séverin), les églises dominaient le tout, et, comme une harmonie de plus dans cette masse d’harmonie, elles perçaient à chaque instant la découpure multiple des pignons de flèches tailladées, de clochers à jour, d’aiguilles déliées dont la ligne n’était aussi qu’une magnifique exagération de l’angle aigu des toits.
Le sol de l’Université était montueux. La montagne Sainte-Geneviève y faisait au sud-est une ampoule énorme, et c’était une chose à voir du haut de Notre-Dame que cette foule de rues étroites et tortues (aujourd’hui le pays latin ), ces grappes de maisons qui, répandues en tous sens du sommet de cette éminence, se précipitaient en désordre et presque à pic sur ses flancs jusqu’au bord de l’eau, ayant l’air, les unes de tomber, les autres de regrimper, toutes de se retenir les unes aux autres. Un flux continuel de mille points noirs qui s’entrecroisaient sur le pavé faisait tout remuer aux yeux. C’était le peuple, vu ainsi de haut et de loin.
Enfin, dans les intervalles de ces toits, de ces flèches, de ces accidents d’édifices sans nombre qui pliaient, tordaient et dentelaient d’une manière si bizarre la ligne extrême de l’Université, on entrevoyait, d’espace en espace, un gros pan de mur moussu, une épaisse tour ronde, une porte de ville crénelée, figurant la forteresse : c’était la clôture de Philippe-Auguste. Au delà verdoyaient les prés, au delà s’enfuyaient les routes, le long desquelles traînaient encore quelques maisons de faubourg, d’autant plus rares qu’elles s’éloignaient plus. Quelques-uns de ces faubourgs avaient de l’importance. C’était d’abord, à partir de la Tournelle, le bourg Saint-Victor, avec son pont d’une arche sur la Bièvre, son abbaye, où on lisait l’épitaphe de Louis le Gros, epitaphium Ludovici Grossi , et son église à flèche octogone flanquée de quatre clochetons du onzième siècle (on en peut voir une pareille à Étampes ; elle n’est pas encore abattue) ; puis le bourg Saint-Marceau, qui avait déjà trois églises et un couvent. Puis, en laissant à gauche le moulin des Gobelins et ses quatre murs blancs, c’était le faubourg Saint-Jacques avec la belle croix sculptée de son carrefour, l’église de Saint-Jacques du Haut-Pas, qui était alors gothique, pointue et charmante, Saint-Magloire, belle nef du quatorzième siècle, dont Napoléon fit un grenier à foin, Notre-Dame-des-Champs où il y avait des mosaïques byzantines. Enfin, après avoir laissé en plein champ le monastère des Chartreux, riche édifice contemporain du Palais de Justice, avec ses petits jardins à compartiments et les ruines mal hantées de Vauvert, l’œil tombait à l’occident sur les trois aiguilles romanes de Saint-Germain-des-Prés. Le bourg Saint-Germain, déjà une grosse commune, faisait quinze ou vingt rues derrière. Le clocher aigu de Saint-Sulpice marquait un des coins du bourg. Tout à côté on distinguait l’enceinte quadrilatérale de la foire Saint-Germain, où est aujourd’hui le marché ; puis le pilori de l’abbé, jolie petite tour ronde bien coiffée d’un cône de plomb. La tuilerie était plus loin, et la rue du Four, qui menait au four banal, et le moulin sur sa butte, et la maladrerie, maisonnette isolée et mal vue. Mais ce qui attirait surtout le regard, et le fixait longtemps sur ce point, c’était l’abbaye elle-même. Il est certain que ce monastère, qui avait une grande mine et comme église et comme seigneurie, ce palais abbatial, où les évêques de Paris s’estimaient heureux de coucher une nuit, ce réfectoire auquel l’architecte avait donné l’air, la beauté et la splendide rosace d’une cathédrale, cette élégante chapelle de la Vierge, ce dortoir monumental, ces vastes jardins, cette herse, ce pont-levis, cette enveloppe de créneaux qui entaillait aux yeux la verdure des prés d’alentour, ces cours où
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