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Notre-Dame de Paris

Notre-Dame de Paris

Titel: Notre-Dame de Paris Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Hugo
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Tourangeau, si intelligent que fût son regard, paraissait ne plus comprendre dom Claude. Il l’interrompit.
    « Pasquedieu ! qu’est-ce que c’est donc que vos livres ?
    – En voici un », dit l’archidiacre.
    Et ouvrant la fenêtre de la cellule, il désigna du doigt l’immense église de Notre-Dame, qui, découpant sur un ciel étoilé la silhouette noire de ses deux tours, de ses côtes de pierre et de sa croupe monstrueuse, semblait un énorme sphinx à deux têtes assis au milieu de la ville.
    L’archidiacre considéra quelque temps en silence le gigantesque édifice, puis étendant avec un soupir sa main droite vers le livre imprimé qui était ouvert sur sa table et sa main gauche vers Notre-Dame, et promenant un triste regard du livre à l’église :
    « Hélas ! dit-il, ceci tuera cela. »
    Coictier qui s’était approché du livre avec empressement ne put s’empêcher de s’écrier : « Hé mais ! qu’y a-t-il donc de si redoutable en ceci : GLOSSA IN EPISTOLAS D. PAULI. Norimbergæ, Antonius Koburger, 1474 . Ce n’est pas nouveau. C’est un livre de Pierre Lombard, le Maître des Sentences. Est-ce parce qu’il est imprimé ?
    – Vous l’avez dit », répondit Claude, qui semblait absorbé dans une profonde méditation et se tenait debout, appuyant son index reployé sur l’in-folio sorti des presses fameuses de Nuremberg. Puis il ajouta ces paroles mystérieuses : « Hélas ! hélas ! les petites choses viennent à bout des grandes ; une dent triomphe d’une masse. Le rat du Nil tue le crocodile, l’espadon tue la baleine, le livre tuera l’édifice ! »
    Le couvre-feu du cloître sonna au moment où le docteur Jacques répétait tout bas à son compagnon son éternel refrain : «  Il est fou . » À quoi le compagnon répondit cette fois : « Je crois que oui. »
    C’était l’heure où aucun étranger ne pouvait rester dans le cloître. Les deux visiteurs se retirèrent. « Maître, dit le compère Tourangeau, en prenant congé de l’archidiacre, j’aime les savants et les grands esprits, et je vous tiens en estime singulière. Venez demain au palais des Tournelles, et demandez l’abbé de Saint-Martin de Tours. »
    L’archidiacre rentra chez lui stupéfait, comprenant enfin quel personnage c’était que le compère Tourangeau, et se rappelant ce passage du cartulaire de Saint-Martin de Tours : Abbas beati Martini , SCILICET REX FRANCIÆ, est canonicus de consuetudine et habet parvam præbendam quam habet sanctus Venantius et debet sedere in sede thesaurarii {59} .
    On affirmait que depuis cette époque l’archidiacre avait de fréquentes conférences avec Louis XI, quand Sa Majesté venait à Paris, et que le crédit de dom Claude faisait ombre à Olivier le Daim et à Jacques Coictier, lequel, selon sa manière, en rudoyait fort le roi.

II – CECI TUERA CELA
    Nos lectrices nous pardonneront de nous arrêter un moment pour chercher quelle pouvait être la pensée qui se dérobait sous ces paroles énigmatiques de l’archidiacre : Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice .
    À notre sens, cette pensée avait deux faces. C’était d’abord une pensée de prêtre. C’était l’effroi du sacerdoce devant un agent nouveau, l’imprimerie. C’était l’épouvante et l’éblouissement de l’homme du sanctuaire devant la presse lumineuse de Gutenberg. C’était la chaire et le manuscrit, la parole parlée et la parole écrite, s’alarmant de la parole imprimée ; quelque chose de pareil à la stupeur d’un passereau qui verrait l’ange Légion ouvrir ses six millions d’ailes. C’était le cri du prophète qui entend déjà bruire et fourmiller l’humanité émancipée, qui voit dans l’avenir l’intelligence saper la foi, l’opinion détrôner la croyance, le monde secouer Rome. Pronostic du philosophe qui voit la pensée humaine, volatilisée par la presse, s’évaporer du récipient théocratique. Terreur du soldat qui examine le bélier d’airain et qui dit : La tour croulera. Cela signifiait qu’une puissance allait succéder à une autre puissance. Cela voulait dire : La presse tuera l’église.
    Mais sous cette pensée, la première et la plus simple sans doute, il y en avait à notre avis une autre, plus neuve, un corollaire de la première moins facile à apercevoir et plus facile à contester, une vue, tout aussi philosophique, non plus du prêtre seulement, mais du savant et de l’artiste. C’était

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