Oeuvres de Napoléon Bonaparte, TOME III.
de tous côtés, s'écroule aujourd'hui, et l'évacuation de l'Egypte serait un malheur d'autant plus grand, que nous verrions de nos jours cette belle province passer en d'autres mains européennes.
Les nouvelles des succès ou des revers qu'aura la république, doivent aussi entrer puissamment dans vos calculs.
Si la Porte répondait, avant que vous eussiez reçu de mes nouvelles de France, aux ouvertures de paix que je lui ai faites, vous devez déclarer que vous avez tous les pouvoirs que j'avais et entamer les négociations : persistant toujours dans l'assertion que j'ai avancée, que l'intention de la France n'a jamais été d'enlever l'Egypte à la Porte ; demander que la Porte sorte de la coalition et nous accorde le commerce de la mer Noire ; qu'elle mette en liberté les Français prisonniers ; et enfin, six mois de suspension d'armes, afin que, pendant ce temps-là, l'échange des ratifications puisse avoir lieu.
Supposant que les circonstances soient telles que vous croyez devoir conclure ce traité avec la Porte, vous ferez sentir que vous ne pouvez pas le mettre à exécution, qu'il ne soit ratifié ; et, selon l'usage de toutes les nations, l'intervalle entre la signature d'un traité et sa ratification, doit toujours être une suspension d'hostilité.
Vous connaissez, citoyen général, quelle est ma manière de voir sur la politique intérieure de l'Egypte : quelque chose que vous fassiez, les chrétiens seront toujours nos amis.
Il faut les empêcher d'être trop insolens, afin que les Turcs n'aient pas contre nous le même fanatisme que contre les chrétiens, ce qui nous les rendrait irréconciliables. Il faut endormir le fanatisme, avant qu'on puisse le déraciner. En captivant l'opinion des grands scheicks du Caire, on a l'opinion de toute l'Egypte ; et, de tous les chefs que ce peuple peut avoir, il n'y en a aucun moins dangereux que des scheicks qui sont peureux, ne savent pas se battre, et qui, comme tous les prêtres, inspirent le fanatisme sans être fanatiques.
Quant aux fortifications d'Alexandrie, El-Arich, voilà les clefs de l'Egypte. J'avais le projet de faire établir cet hiver des redoutes de palmiers, deux depuis Salahieh à Catieh, deux de Catieh à El-Arich : l'une se serait trouvée à l'endroit où le général Menou a trouvé de l'eau potable.
Le général Samson, commandant du génie, et le général Songis, commandant l'artillerie, vous mettront chacun au fait de ce qui regarde sa partie.
Le citoyen Poussielgue a été exclusivement chargé des finances, je l'ai reconnu travailleur et homme de mérite. Il commence à avoir quelques renseignemens sur le chaos de l'administration de l'Egypte. J'avais le projet, si aucun nouvel événement ne survenait, de tâcher d'établir cet hiver un nouveau mode d'imposition, ce qui nous aurait permis de nous passer à peu près des Cophtes ; cependant, avant de l'entreprendre, je vous conseille d'y réfléchir long-temps. Il vaut mieux entreprendre cette opération un peu plus tard qu'un peu trop tôt.
Des vaisseaux de guerre français paraîtront cet hiver indubitablement à Alexandrie, Bourlos ou Damiette.
Faites construire une bonne tour à Bourlos ; tâchez de réunir cinq ou six cents mameloucks que, lorsque les vaisseaux français seront arrivés, vous ferez en un jour arrêter au Caire et dans les autres provinces, et embarquer pour la France. Au défaut de mameloucks, des ôtages d'Arabes, des scheicks Belet qui, pour une raison quelconque, se trouveraient arrêtés, pourront y suppléer. Ces individus arrivés en France, y seront retenus un ou deux ans, verront la grandeur de la nation, prendront quelques idées de nos moeurs et de notre langue, et, de retour en Egypte, y formeront autant de partisans.
J'avais déjà demandé plusieurs fois une troupe de comédiens : je prendrai un soin particulier de vous en envoyer. Cet article est très-important pour l'armée, et pour commencer à changer les moeurs du pays.
La place importante que vous aller occuper en chef va vous mettre à même enfin de déployer les talens que la nature vous a donnés. L'intérêt de ce qui se passera ici est vif, et les résultats en seront immenses pour le commerce, pour la civilisation ; ce sera l'époque d'où dateront de grandes révolutions.
Accoutumé à voir la récompense des peines et des travaux de la vie dans l'opinion de la postérité, j'abandonne avec le plus grand regret l'Egypte. L'intérêt de la patrie, sa gloire,
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