Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
Helmstadt, récemment interceptée, contient des détails curieux.
MM. le prince d'Hatzfeld, Basching, président de la police, le président de Kercheisen ; Formey, conseiller intime ; Polzig, conseiller de la municipalité ; MM. Ruek, Siegr et Hermensdorf, conseillers députés de la ville de Berlin, ont remis ce matin à l'empereur, à Potsdam, les clefs de cette capitale. Ils étaient accompagnés de MM. Grote, conseiller des finances ; le baron de Vichnitz et le baron d'Eckarlstein.
Ils ont dit que les bruits qu'on avait répandus sur l'esprit de cette ville étaient faux ; que les bourgeois et la masse du peuple avaient vu la guerre avec peine ; qu'une poignée de femmes et de jeunes officiers avaient fait seuls ce tapage ; qu'il n'y avait pas un seul homme sensé qui n'eût vu ce qu'on avait à craindre, et qui pût deviner ce qu'on avait à espérer. Comme tous les Prussiens, ils accusent le voyage de l'empereur Alexandre des malheurs de la Prusse. Le changement qui s'est dès-lors opéré dans l'esprit de la reine, qui, de femme timide et modeste, s'occupant de son intérieur, est devenue turbulente et guerrière, a été une révolution subite. Elle a voulu tout à coup avoir un régiment, aller au conseil ; elle a si bien mené la monarchie, qu'en peu de jours elle l'a conduite au bord du précipice.
Le quartier-général est à Charlottembourg.
Charlottembourg, le 27 octobre 1806.
Dix-neuvième bulletin de la grande armée.
L'empereur, parti de Potsdam aujourd'hui à midi, a été visiter la forteresse de Spandau. Il a donné des ordres au général de division Chasseloup, commandant le génie de l'armée, sur les améliorations à faire aux fortifications de cette place. C'est un ouvrage superbe ; les magasins sont magnifiques. On a trouvé à Spandau des farines, des grains, de l'avoine pour nourrir l'armée pendant deux mois, des munitions de guerre pour doubler l'approvisionnement de l'artillerie. Cette forteresse, située sur la Sprée, à deux lieues de Berlin, est une acquisition inestimable. Dans nos mains, elle soutiendra deux mois de tranchée ouverte. Si les Prussiens ne l'ont pas défendue, c'est que le commandant n'avait pas reçu d'ordre, et que les Français y sont arrivés en même temps que la nouvelle de la bataille perdue. Les batteries n'étaient pas faites et la place était désarmée.
Pour donner une idée de l'extrême confusion qui règne dans cette monarchie, il suffît de dire que la reine, à son retour de ses ridicules et tristes voyages d'Erfurt et de Weimar, a passé la nuit à Berlin, sans voir personne ; qu'on a été long-temps sans avoir de nouvelles du roi ; que personne n'a pourvu à la sûreté de la capitale, et que les bourgeois ont été obligés de se réunir pour former un gouvernement provisoire.
L'indignation est à son comble contre les auteurs de la guerre. Le manifeste, que l'on appelle à Berlin un indécent libelle où aucun grief n'est articulé, a soulevé la nation contre son auteur, misérable scribe nommé Gentz, un de ces hommes sans honneur qui se vendent pour de l'argent.
Tout le monde avoue que la reine est l'auteur des maux que souffre la nation prussienne.
On entend dire partout : Elle était si bonne, si douce il y a un an ! mais depuis cette fatale entrevue avec l'empereur Alexandre, combien elle est changée !
Il n'y a eu aucun ordre donné dans les palais, de manière qu'on a trouvé à Potsdam l'épée du grand Frédéric, la ceinture dégénérai qu'il portait à la guerre de sept ans, et son cordon de l'Aigle-Noir. L'empereur s'est saisi de ces trophées avec empressement, et a dit : «J'aime mieux cela que vingt millions.» Puis, pensant un moment à qui il confierait ce précieux dépôt : «Je les enverrai, dit-il, à mes vieux soldats de la guerre d'Hanovre, j'en ferai présent au gouverneur des Invalides : cela restera à l'Hôtel.»
On a trouvé dans l'appartement qu'occupait la reine, à Potsdam, le portrait de l'empereur de Russie, dont ce prince lui avait fait présent ; on a trouvé à Charlottembourg sa correspondance avec le roi, pendant trois ans, et des mémoires rédigés par des écrivains anglais, pour prouver qu'on ne devait tenir aucun compte des traités conclus avec l'empereur Napoléon, mais se tourner tout à fait du côté de la Russie. Ces pièces surtout sont des pièces historiques ; elles démontreraient, si cela avait besoin d'une démonstration, combien sont malheureux les princes qui
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