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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Titel: Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mathias Enard
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andalouse.
    La nuit est bien avancée, mais il lui reste encore deux ou trois heures avant de mourir ; déjà des traits sombres cernent les yeux de Mesihi. Il ne peut s'empêcher d'en vouloir à cet Arslan apparu comme un djinn dans un conte pour lui soustraire par ses machinations la compagnie de ce Franc mal équarri qu'il désire si fortement.  
    Il se met à réciter des vers.
    Un poème persan.
     
    Je ne cesse de désirer que lorsque mon désir
    Est satisfait, que ma bouche atteint
    La lèvre rouge de mon amour,
     
    Où mon âme expire dans la douceur de son haleine.
    Arslan sourit, il a reconnu l'inimitable Hâfiz de Chirâz, ce que lui confirme le dernier couplet :  
     
    Et tu invoqueras toujours le nom de Hafiz  
    En compagnie des tristes et des cœurs brisés.  

 
     
     
     
     
    Le noir presque complet.  
    Seule une bougie à l'extérieur projette un peu de lumière par la porte entrouverte.  
    Michel-Ange devine, plus qu'il ne les voit, les contours de ce corps élancé, fin et musclé, qui laisse glisser son vêtement à terre.
    Il entend tintinnabuler ses bracelets lorsque cette forme sombre s'approche de lui, précédée d'un parfum de musc et de rose, de sueur tiède.
    Le sculpteur se retourne, se recroqueville au bord du lit.  
    Elle a chanté pour lui, cette ombre, la voilà à ses côtés, et il ne sait qu'en faire ; il a honte et grand-peur ; elle s'allonge contre lui, à le toucher ; il sent son souffle et en frissonne, comme si le vent de la nuit, venu de la mer, le gelait soudain.
    Une main se pose sur son biceps, il cesse de trembler, cette caresse est brûlante.
    Il ne sait lequel de leurs deux pouls il sent battre si fort à travers ces doigts.
    La vague tiède d'une chevelure lui parcourt la nuque.
    Les yeux fermés, il imagine le jeune homme ou la jeune femme derrière lui, le coude plié, le visage au-dessus du sien.
    Il reste immobile, raidi comme un chien d'arrêt.  

 
     
     
     
     
     
    Finalement je vais te raconter une histoire. Tu n'as nulle part où aller. C'est la nuit tout autour de toi, tu es enfermé dans une forteresse lointaine, prisonnier de mes caresses ; tu ne veux pas de mon corps, soit, tu ne peux échapper à ma voix. C'est l'histoire très ancienne d'un pays aujourd'hui disparu. D'un pays oublié, d'un sultan poète et d'un vizir amoureux.
    C'était la guerre, non seulement entre les musulmans, mais aussi contre les chrétiens. Ils étaient puissants. Le prince perdit des batailles, il dut laisser Cordoue, abandonner Tolède ; ses ennemis étaient partout. Son vizir avait été son précepteur, c'était maintenant son confident, son amant. Longtemps, ils improvisèrent ensemble des poèmes dans les jardins, auprès des fontaines, et s'enivrèrent de beauté. Le vizir sauva la cité, une fois, en proposant au roi des Francs de jouer la ville aux échecs ; s'il gagnait, on lui en donnerait les clés ; s'il perdait, le siège serait levé. On utilisa de beaux pions de jade, venus de l'autre côté du monde. Le vizir finit par vaincre et le roi chrétien repartit vers le nord, emportant l'échiquier pour tout butin.
    Un jour, alors que le prince et le vizir se distrayaient au bord de la rivière, une jeune servante les enchanta par son sens de la répartie, son immense beauté, la finesse de sa culture et de sa poésie. Le sultan tomba follement amoureux d'elle et l'emporta dans son palais. De l'ancienne esclave, il fit sa reine.
    Elle était si belle et si raffinée que le prince se détourna complètement de son ministre, qu'il ne consultait plus que pour les affaires d'Etat. Le vizir souffrait ; il pleurait la perte des attentions du sultan, et en même temps brûlait d'un amour secret pour l'inaccessible épouse de son roi.
    Il s'écarta, de lui-même, en se nommant gouverneur d'une forteresse éloignée.  
    La tristesse des plaisirs perdus, le souvenir du temps des poèmes et des chants rejoignaient dans son cœur le terrible désir de posséder la belle sultane, par vengeance, par amour.
    Désespéré, il décida de s'allier aux chrétiens pour s'emparer de la capitale et faire sienne la sublime esclave.
    Il trahit sans remords.  
    Il mit ses armées au service des Francs. Ensemble ils assiégèrent la ville.  
    Le sultan, brisé par la défection de son ami, s'enferma dans sa chambre sans se résoudre à combattre. Il composa un poème, qu'il calligraphia lui-même et fit envoyer par un messager au vizir rebelle.
     
    L'ombre du plaisir est

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