Piège pour Catherine
bien voulu aller vous rejoindre, ma chère Catherine, car, au fond, elle ne restait auprès de son frère que pour l'aider et tenir sa maison. Combien elle aurait préféré vivre doucement auprès de vous et regarder grandir ses petits-enfants
! Mais la route est longue de Dijon à vos montagnes et sa santé ne lui permettait pas un si long voyage. Alors, elle a accepté l'hospitalité que je lui offrais dans mon vieux Châteauvillain que vous connaissez bien. Je lui ai donné votre chambre, et le soir, à la veillée, nous radotions toutes deux, comme de vieilles bêtes que nous sommes, sur vous, sur les petits et sur votre insupportable époux.
Nous avons passé de bien bons moments. C'est une si bonne femme que votre mère...
Mais, ce Carême, elle a pris un mauvais froid et depuis je la vois décliner... Et j'ai peur, car elle est chaque jour un peu plus faible.
Alors, je vous écris pour vous demander de venir. Vous êtes jeune, vous êtes forte et les chemins ne vous font pas peur. Vous pouvez faire ce voyage qu 'elle ne fera plus jamais. Et si vous voulez l'embrasser encore une fois, je crois que vous le pouvez si vous ne perdez pas trop de temps ! Venez, Catherine ! C'est moi qui vous le demande car elle n'oserait jamais le faire et elle vous aime tant... »
Le parchemin glissa des doigts de Catherine, se roula tout seul et tomba sur le sol. Le visage de la jeune femme était inondé de larmes, mais elle ne fit aucun commentaire. Elle ne gémit pas, ne poussa aucune plainte. Simplement, elle se baissa pour ramasser le rouleau puis, relevant sur Jacques un regard noyé de pleurs, mais déterminé :
— La lettre est datée du troisième jour de ce mois, dit-elle d'une voix nette. Vous avez raison, Jacques, il faut que je parte dès demain
! Je voudrais tellement, tellement... ne pas arriver trop tard. Ma pauvre maman ! Je la croyais heureuse, paisible, je l'ai beaucoup négligée.
— Vous ne pouviez pas deviner...
— Quoi ? Qu'en vieillissant, mon oncle Mathieu allait se muer en un vieux fou bêtifiant devant une ! commère plus rusée que les autres ? Comment ne voit-il pas que cette femme n'en veut qu'à ses écus ? Et il a osé laisser partir ma pauvre maman, la jeter à la rue comme une mendiante. Sa sœur ! Sa propre sœur !
— Calmez-vous, Catherine ! Je sais que la meilleure façon de vous faire oublier vos chagrins c'est encore de vous fournir une bonne occasion de vous mettre en colère. Mais, pour le moment, il vous faut songer à votre départ... et à ce qui vous reste à faire avant.
Pour ma part, je vais tout préparer pour vous. Mais, ce soir...
— Oui. J'irai avec vous au château ! C'est la dernière chose que je pourrai faire avant longtemps pour mon époux, s'il vit toujours, et pour mes enfants, s'il n'est plus. Car, ensuite, il me faudra un moment les écarter de ma pensée pour ne songer qu'à celle qui m'appelle et qui a tellement besoin de moi.
Tard, dans la soirée, bien après la tombée du jour, Catherine et Jacques Cœur gravirent la légère pente qui menait au château. Une poterne s'ouvrit devant eux, dès que Jacques eut montré une large médaille qu'il portait à son cou. Puis, dans la cour où régnait une intense activité, ce fut une petite porte rouge donnant accès à une étroite et sombre vis de pierre à peine éclairée, de loin en loin, par une torche.
Enfin, les deux visiteurs se retrouvèrent dans un petit oratoire tendu de velours violet à crépines d'or, sans que personne se fût avisé de leur demander où ils allaient.
— Vous étiez annoncée ! expliqua simplement Jacques, et le chemin m'est familier. Nous avons souvent, la Reine et moi, des conférences secrètes. Elle s'intéresse beaucoup à mes affaires où elle entrevoit déjà la prospérité du royaume ! D'ailleurs, la voici !
Un instant plus tard, Catherine s'agenouillait pour baiser la main que lui tendait une grande femme maigre et blême, dont les voiles noirs étaient retenus par une haute couronne d'or. Sa récente maladie avait laissé des traces profondes sur le visage de Yolande d'Aragon.
Ses épais cheveux, jadis si noirs, étaient maintenant blancs comme neige et mettaient une douceur autour de ce visage encore énergique et beau, mais ravagé par la souffrance. Cependant, les yeux noirs gardaient toute leur vivacité.
Sans un mot, elle releva Catherine et l'embrassa avec une chaude affection. Ensuite, elle la dévisagea attentivement.
— Pauvre enfant ! dit-elle.
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