Piège pour Catherine
Ermengarde a recueilli ma mère malade, mais ce n'est pas très loin de Dijon et, d'ailleurs, j'ai l'intention de m'y rendre. J'ai, en effet, un compte à régler avec mon oncle.
— Vraiment ? Vous irez ?
— Sans aucun doute... et le plus tôt possible. Je n'aime pas laisser traîner mes affaires et je veux que ce vieil homme égaré entende la voix de la raison.
— Alors...
La Reine hésita encore un instant. Une lumière soudaine s'était allumée dans ses yeux et un peu de rose montait à ses pommettes. Une idée lui était venue, une idée qui lui souriait...
— Mon fils, René, dit-elle enfin, duc de Lorraine et roi de Naples, est, vous le savez sans doute, toujours retenu en prison par le duc Philippe. Il se trouve à Dijon, dans l'une des tours du palais ducal.
— En effet, dit Jacques Cœur. Mais je sais aussi qu'à l'heure présente le Connétable de Richemont a dû rejoindre, à Saint-Omer, son beau-frère de Bourgogne 1 pour discuter avec lui des modalités de la libération du prince.
Yolande hocha la tête d'un air plein de doute.
— Vous êtes toujours l'homme le mieux informé de France, Maître Cœur ! Vos renseignements sont bons. En effet, le Roi et moi-même avons prié Arthur de Richemont de s'entremettre mais, à vous dire le fond de ma pensée, je ne crois pas
1 La femme du Connétable était sœur du duc.
qu'il obtienne dès maintenant satisfaction. Le duc n'est même pas sensible à l'idée d'une forte rançon.
— Il doit pourtant avoir besoin d'argent. Ne s'apprête-t-il pas à attaquer Calais révoltée ?
— En effet. Mais il a tout l'argent qu'il veut. Les bourgeois de Gand ont ouvert largement leur bourse et fourbissent leurs armes pour l'aider dans son entreprise. Je sais que le Connétable fera de son mieux, mais je ne « sens » pas encore venir la liberté de mon fils.
Alors, Catherine, si vous allez à Dijon, vous donneriez une grande joie à mon cœur de mère en acceptant de lui porter une lettre. Vous avez gardé, à la Cour de Bourgogne, un grand crédit... même si vous ne vous en servez pas. À tout le moins, on vous laissera approcher le prisonnier et lui remettre ma lettre.
Catherine tendit la main.
— Donnez la lettre, Madame, je vous jure qu'elle parviendra à son destinataire !
Yolande s'approcha de la jeune femme, prit son visage entre ses mains et l'embrassa sur le front.
— Merci, mon enfant. Vous m'aurez rendu au centuple le peu que je fais pour vous ! Soyez sans crainte, je tirerai votre Arnaud de ce mauvais pas et il n'aura même pas à venir jusqu'ici. Il se peut qu'il puisse faire sa paix avec le Roi sans presque sortir de chez lui.
— Comment cela ?
— Le Roi va bientôt quitter ce pays pour un voyage en Guyenne, en Languedoc et en Provence. Il se fait tirer l'oreille car il n'aime guère les grandes routes mais... on l'y pousse activement. Et, d'ailleurs, la mort du comte de Foix, qui a rendu son âme à Dieu le 4
mai dernier, rend ce voyage indispensable et urgent, car il faut régler la succession. Et puis, le Languedoc a besoin de secours car les écorcheurs et les routiers de tout plumage le ravagent à l'envi... Le Roi doit aller là-bas pour châtier et ramener la paix. Il traversera l'Auvergne. La suite me paraît claire. Allez, maintenant... conclut-elle en tendant sa main à Catherine qui plongeait déjà dans sa révérence, je vais écrire cette lettre et la ferai porter
dans la nuit chez Maître Cœur ! Je vous verrai demain, mon ami, fit-elle à l'adresse du négociant. Nous ferons ensemble le compte de ces fêtes...
Catherine et son guide repartirent aussi rapidement qu'ils étaient venus. Chemin faisant, Jacques accablait sa compagne de recommandations : il allait la munir de son mieux pour le voyage, mais elle devrait se garder continuellement. Le pays qu'elle allait traverser était dangereux, plein d'embûches, car les écorcheurs ne ravageaient pas seulement le midi de la France.
— Vous aurez des armes et les deux garçons aussi. Mais j'ai grande envie de vous donner une escorte...
Elle tressaillit, le regarda comme si elle sortait d'un rêve. En fait, elle n'écoutait pas, mais ce mot d'escorte l'avait frappée.
— Une escorte ? Non pas ! Il est plus facile de passer inaperçu à trois qu'à dix.
— Mais vous n'aurez avec vous qu'un gamin et un garçon courageux certes, mais totalement dépourvu d'expérience des armes !
— Je n'ai nullement l'intention de livrer bataille. Je sais comment on voyage
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