Piège pour Catherine
Penchée sur la crinière de sa monture, la peur aux trousses, Catherine de Montsalvy fuyait vers sa cité, bénissant le ciel qui lui avait fait préférer à son élégante mais fragile haquenée de parade cet étalon à peine dégrossi, dont la vigueur semblait n'avoir point de limites et qui lui donnait une chance certaine d'échapper à ses poursuivants.
Malgré la pente du chemin mal tracé au flanc du plateau, Mansour volait littéralement, sa longue queue blanche étalée dans l'air comme celle d'une comète. Dans ce crépuscule sinistre qui se rayait vers l'occident de longues traînées sanglantes, la robe claire du cheval devait être visible d'une lieue, mais Catherine savait bien qu'elle avait été reconnue et qu'il était vain d'espérer disparaître dans le paysage.
Derrière elle, tout proche, elle pouvait entendre le galop plus lourd de Mâchefer, le cheval de son intendant, Josse Rallard, qui la suivait toujours dans ses tournées sur ses terres ; mais, plus loin, dans les profondeurs obscures de la vallée fourrée de châtaigniers, un autre galop résonnait, invisible et menaçant, celui de la bande de routiers lancés sur sa trace...
Sur le haut plateau de la Châtaigneraie, au sud d'Aurillac, ce mois de mars frileux de l'an 1436 n'en avait pas encore fini avec la neige.
Elle apparaissait de loin en loin, tachant la terre brune de plaques blêmes que le vent du nord gelait et changeait en verglas. La cavalière les évitait de son mieux, craignant, chaque fois que c'était impossible, de voir Mansour glisser et s'abattre, car, alors, plus rien ne pourrait la sauver...
Tout en galopant, elle se retournait parfois pour guetter, dans la vallée, le moutonnement des casques, l'éclat sourd des armes. Elle devait alors rejeter, avec rage, le voile bleu qui drapait son visage et que le vent rabattait sur ses yeux. Et comme, une fois de plus, elle jetait derrière elle ce coup d'œil angoissé, elle entendit la voix de Josse qui criait, rassurante:
— Plus la peine de vous retourner, Dame Catherine ! On les gagne, on les gagne !... Tenez ! Voilà les murailles ! On sera à Montsalvy bien avant eux !
C'était vrai. Sur le rebord du plateau où ils posaient une barbare couronne, les murs du bourg se découpaient, noirs sur le rougeoiement du ciel, avec leurs tours mal équarries et peu élégantes, mais taillées dans le granit brut et dans la lave des volcans éteints, avec leurs créneaux méfiants, leurs portes étroites mais bien pourvues de herses de fer et de pont-levis en cœur de chêne. Des murs rudes, en vérité, campagnards et grossiers sous le hérissement des douves de tonneaux taillées en pointe qui les barbelaient mais qui pouvaient soutenir un siège et protéger efficacement des hommes de chair et de sang. Encore fallait-il y parvenir avec assez d'avance sur les routiers pour faire clore ces bonnes portes et mettre la cité en défense ! Sinon la vague sauvage s'engouffrerait derrière la châtelaine et balayerai Montsalvy et son millier d'habitants comme un raz de marée...
A la seule idée de ce que cela pourrait être, le cœur de Catherine manqua un battement et se serra. Elle avait vu la guerre trop souvent et de trop près pour garder la moindre illusion sur ce que pouvaient devenir, dans une ville conquise, les femmes et les enfants quand une horde de soudards assoiffés d'or, de vin, de sang et de viol déferlait sur eux en lâchant la bonde à leurs pires instincts. Et c'était bien plus de crainte de ne pas arriver à temps pour protéger ses enfants et ses gens que de son propre péril que tremblait la dame de Montsalvy en pressant les flancs de son cheval.
De même que celui qui va mourir revoit en un instant tous les moments de sa vie, Catherine crut les voir soudain surgir devant elle dans la boue du chemin : son petit Michel de quatre ans avec ses joues rondes et sa tignasse dorée toujours en broussaille ; Isabelle, son bébé de dix mois qui, bien plus qu'elle-même, régnait minuscule tyran, sur le château, le bourg et même l'abbaye. Elle vit aussi Sara la Noire, sa vieille Sara qui avait toujours veillé sur elle depuis que, fillette, dans Paris révolté, elle avait trouvé refuge à la Cour des Miracles, Sara qui maintenant, à cinquante-trois ans, gouvernait les enfants et la maisonnée. Il y avait encore Marie, l'épouse de Josse, qu'elle avait connue jadis au harem du calife de Grenade et qui l'avait accompagnée dans sa fuite, et Donatienne, et son
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