Piège pour Catherine
fait tomber la joie du vieillard. Bérault d'Apchier était l'homme de toutes les ruses, de tous les traquenards. Qui pouvait dire si cette troupe « sans marque distinctive » mais qui « se battait si bien » ne constituait pas le meilleur des pièges et le plus sûr moyen de s'ouvrir les portes de la ville ?
Néanmoins, elle courut jusqu'à la porte où, en effet, un combat se déroulait. Armés de toutes pièces, une vingtaine de soldats à cheval s'étaient frayé un passage à travers la troupe d'Apchier, surprise par une attaque brusquée, et refluaient maintenant vers la ville en se défendant avec acharnement contre une troupe qui grossissait d'instant en instant.
— Qui êtes-vous ? cria Catherine qui avait hâtivement gagné le chemin de ronde.
— Ouvrez, bon sang ! hurla une voix haletante. C'est moi !
Bérenger !...
La voix en question provenait d'un étrange assemblage de pièces d'armure, assez disparates, qui composait l'un des cavaliers du centre.
Armé d'une gigantesque hache d'armes dont il faisait des moulinets presque aussi dangereux pour ses compagnons que pour l'ennemi, ce curieux soldat distribuait un peu au hasard des coups qui faisaient plus d'honneur à sa bonne volonté qu'à son expérience. Mais la voix bien connue du page eut le don de plonger Catherine dans une joie dont elle se serait crue bien incapable quelques instants plus tôt, une joie qui se répercuta sur tous les défenseurs de la porte.
Avant même qu'elle eût ouvert la bouche pour en donner l'ordre, Nicolas Barrai et deux de ses hommes s'étaient pendus aux treuils, relevaient la herse et abattaient le pont-levis en catastrophe, tandis qu'une ligne d'archers, postés aux créneaux, déchaînait sur les routiers une véritable grêle de flèches.
L'entrée de la petite troupe s'effectua avec une rapidité stupéfiante et, à peine le pont eut-il résonné sous le galop des chevaux, qu'il se relevait. Les flèches et les carreaux d'arbalètes de l'ennemi vinrent se planter dans les énormes ais en cœur de chêne qui le composaient, pendant qu'avec un affreux bruit de ferraille Bérenger de Roquemaurel, ôtant un heaume manifestement trop grand pour lui, sautait de son grand cheval presque dans les bras du sergent, que ledit casque faillit bien éborgner.
— Sang du Christ, mon garçon ! jura celui-ci. Quel redoutable combattant vous faites ! Mais comme vous voilà pâle après cette chaude bagarre ?
— Je n'ai jamais eu si peur de ma vie ! avoua ingénument le garçon qui, d'ailleurs, claquait des dents. Ah ! Dame ! Quelle joie de vous revoir ! ajouta-t-il en essayant vainement de plier sa carapace de fer pour s'incliner devant Catherine. J'ai fait aussi vite que j'ai pu, mais j'ai rencontré bien des traverses. J'espère, malgré tout, que vous n'avez pas eu trop à souffrir encore ?
— Non, Bérenger, tout va bien... ou presque bien. Mais vous, d'où venez-vous donc ?
— De chez moi où ma mère vous dit mille choses affectueuses et prie pour vous... et aussi de Carlat !
— De Carlat ? Mais ces hommes ? fit-elle en désignant les soldats qui, derrière les portes refermées, se regroupaient et mettaient lourdement pied à terre.
— En viennent aussi. C'est tout ce que messire Aymon du Pouget, le gouverneur, peut vous envoyer en fait de secours. Il en est tout à fait navré, mais la comtesse Eléonore vient de partir pour Tours où s'apprêtent déjà, à ce que l'on dit, les fêtes du mariage de Monseigneur le Dauphin avec Madame Marguerite d'Ecosse, et le sire du Pouget ne peut, sans dégarnir dangereusement sa forteresse, détacher plus d'hommes à votre service. Encore a-t-il préféré qu'ils ne portent ni tabard, ni couleurs, afin que les chiens puants qui vous attaquent ne puissent deviner que Carlat est moins bien gardé.
Celui des arrivants qui paraissait le chef de la troupe s'approcha et vint mettre genou en terre devant Catherine pour l'assurer que lui et ses hommes étaient tout prêts à mourir pour elle, mais Catherine ne trouva, pour le remercier, qu'un pâle sourire.
La déception était aussi un peu trop forte : vingt hommes, vingt hommes quand elle en espérait au moins deux cents ! Jamais, avec des effectifs si réduits, elle ne parviendrait à desserrer la tenaille de fer qui menaçait d'étouffer sa ville.
L'anxiété et le désarroi transparaissaient si bien sur son visage que Barrai, craignant l'effet sur la population qui accourait déjà aux nouvelles, se hâta
Weitere Kostenlose Bücher