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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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sa mémoire, comme un plomb dans la tête se
manifestant de temps à autre selon l’humeur des saisons. D’où l’on comprenait
aussi que ce qui lui revenait en même temps que ce fauchage tragique, c’était
l’écho d’une balade amoureuse entre un père et sa fille.
    Ce que dit à sa manière la correspondance miraculeusement
resurgie de ses années de pension, retrouvée dans un carton, relégué sans
ménagement parmi d’autres emplis de débris de vaisselle, au milieu du
bric-à-brac de l’entrepôt, à quoi, cette négligence, on reconnaît bien son
mépris pour tout ce qui pouvait ressembler à de la nostalgie. Cette façon de
tourner une bonne fois pour toutes la page, de ne pas s’encombrer avec les
témoignages et la collection complète des souvenirs anciens. Sans doute le
moyen pour elle d’aller de l’avant quand il lui en aurait coûté peut-être de se
retourner. Il semblait que seul le présent l’intéressait, mais un présent sans surprise,
se répétant jour après jour, rituellement, égal à lui-même, interdisant de ce
fait tout changement, si bien que le magasin, par exemple, demeura à peu près
dans l’état où notre père l’avait laissé. D’ailleurs, le carton qui enfermait
sa correspondance de pension ainsi que ses bulletins scolaires et des
serviettes hygiéniques protohistoriques (des bandes découpées dans des
serviettes de toilette), on se demande même si elle l’a jamais ouvert. Sans
doute apporté par son frère à la mort de leur mère. Et on l’imagine devant les
bras encombrés du porteur, lui conseillant de déposer son fardeau dans
l’entrepôt, là, sous l’étagère, et l’y laissant quinze ans, entassant
par-dessus d’autres cartons, manifestant une indifférence souveraine pour ces
reliques.
    Le même papier bleu. A se demander si l’époque connaissait
une autre couleur pour sa correspondance. Des lettres laconiques, dans
lesquelles on n’apprend rien de sa vie au pensionnat, et où, après avoir
expédié en quelques lignes les affaires courantes, dans une formule d’une
sécheresse presque administrative, elle salue toute la famille, avec une
mention pour Claire, la sœur aînée, dite Clairo, qui fut la fidèle compagne de
sa vie. Simplement, de loin en loin, la même demande : papa viendra-t-il
me sortir, jeudi prochain ? Et l’on sent que la lettre tourne autour de
cette interrogation formulée du bout de la plume. Pour le reste nous sommes
condamnés à lire entre les lignes. Ce qui se révèle aussi difficile que de lire
dans ses pensées. Mais un courrier sans doute imposé par l’institution, sous
surveillance. A Saint-Louis, alias Saint-Cosmes, à
Saint-Nazaire, – et, si la Révolution n’était pas passée par là le
département, au lieu de Loire-Atlantique, se fût peut-être appelé
Saint-Victor –, quelques dizaines d’années plus tard, on nous obligeait à
communiquer nos bulletins de notes à la famille et à y joindre un petit mot
dans lequel il nous était impossible de commenter nos résultats – les
mauvais, s’entend – puisque toute correspondance était analysée à la
loupe par le préfet de discipline. Alors, dans ces conditions, comment
justifier un zéro de conduite ? Pour l’obtention duquel il n’était pas
besoin d’avoir insulté un supérieur ou sifflé un petit air en classe dans un
moment de rêverie, un hoquet mal venu suffisait, ou un regard en biais, ou un
commentaire mitigé sur la soupe du soir, mais ce zéro, ou toute note en dessous
de la moyenne, nous empêchait d’obtenir les points – matérialisés par
des feuillets jaunes, roses ou verts, selon la valeur – qui constituaient
la monnaie officielle à l’intérieur du collège, nous permettant, par exemple,
de racheter les heures de retenue qui sanctionnaient nos mauvaises notes, de
sorte qu’ils ne servaient à rien puisqu’ils récompensaient ceux qui, de fait,
n’en avaient pas besoin, sinon pour s’offrir les toilettes du dortoir, estimées
à quarante points, une fortune, mais de luxueuses, avec carreaux de faïence,
siège en céramique, lunette et chasse d’eau, précision à caractère tautologique
seulement si l’on oublie que celles de la cour, réservées aux indigents,
étaient médiévales : un trou turc dans le ciment, et la raclette de
croupier du préposé à l’entretien pour y pousser chaque matin tout ce que trois
cents élèves y avaient, sur les bords, laissé.
    Mais des histoires comme

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