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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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oreilles, et ne sachant
quelle tête adopter, vous l’avez peut-être reconnu, c’est moi, mais ça ne nous
apprend pas grand-chose (et le deuil récent n’y est pour rien, ce, résumons,
manque de naturel, on le retrouve sur une autre photo beaucoup plus ancienne,
prise dans le jardin, et sur laquelle, pour faire bonne figure, le petit garçon
en culottes courtes et chemisette blanche, en chaussettes dans ses sandales, se
tient au garde-à-vous – ce qui nous permet d’entendre en écho
l’injonction maternelle : apprenez donc à être simple, or il n’y a rien de
plus compliqué que cet apprentissage de la simplicité), donc rien de nouveau,
sinon qu’il s’agit d’une communion, sans doute solennelle, celle qui donne
droit à quoi au juste, on ne sait plus, mais pas à échapper au royaume des
limbes, cela c’est la prérogative du baptême, ni à recevoir le sacrement de l’eucharistie
(en clair, le droit d’avaler l’hostie, cette pastille blanche azyme que
d’incroyables mécréants au collège, des figures de Gyf, sortaient de leur
bouche et se collaient à l’œil en guise de monocle), ce que l’on peut faire dès
la petite communion, mais celle-là, la grande, c’est surtout l’occasion de se
voir offrir la montre très attendue, allongée dans son boîtier, au lieu que le
missel qui va avec (parrain et marraine se répartissant les présents), on est
sûr qu’on ne l’ouvrira jamais, donc une cérémonie dont le sens échappe à la
quasi-totalité des participants – et la retraite de trois jours qui a
précédé, dans un prieuré quelconque à proximité, n’a pas vraiment clarifié la
question (à part cet engagement renouvelé à ne pas démériter – sur le
coup, on promet tout ce qu’on veut), mais l’important n’est pas là. Des photos
de ce type, il y en a plein les tiroirs, et qui ne sont pas les plus regardées
car, enfin, une robe pour les garçons, il y a beau temps que, pour le courant
du moins, ça ne se fait plus, et même les filles n’apprécient que moyennement,
qui, en dépit de l’impeccable blancheur, peuvent difficilement rivaliser avec
la toilette de Scarlett O’Hara. On sent que cette aube aura du mal à franchir
le siècle, qu’elle vit son chant du cygne, de même que les prêtres de
Saint-Louis commencent à abandonner la soutane pour une tenue de clergyman plus
seyante, qui ne les fait pas encore ressembler à des représentants de commerce
mais, pour séduire les femmes, ce doit être plus commode (tous ces petits
boutons de la robe noire à défaire, ça doit en décourager plus d’une), on doit
se sentir moins engoncé, et, à part deux ou trois réfractaires, toujours prêts
à se cacher dans une meule de foin pour se soustraire aux Colonnes infernales,
cette question de la sécularisation semble réglée, on ne va donc pas
s’accrocher à batailler pour ou contre ces vieilles lunes. L’important est
ailleurs.
    L’important se tient debout à côté du fils, la mère
douloureuse, entièrement vêtue de noir, jusqu’au sac à main glissé à son
avant-bras. Suite à ce drame, toute sa garde-robe a été jetée dans le grand bac
d’encre du teinturier, et même son petit béret incliné sur le front, dont la
voilette est relevée, et qui était auparavant d’une jolie couleur chamois. Mais
debout par on ne sait quel miracle, car ce géotropisme, naturel pour tout ce
qui croît sur terre moins le gui, cette station verticale, paraît un défi aux
lois de la vie qui exigent une présence, un contrat, un plan, or elle est là
sans être là (le chat de Schrödinger), comme en retrait du monde. Elle fixe
l’objectif, mais son regard vient de si loin, est si enfoncé dans le creux
ombragé de ses orbites, qu’il semble que la lumière a dû s’épuiser en chemin,
qu’il n’en reste qu’un faisceau affaibli. C’est un regard qui se force à
regarder, quand il en a perdu l’habitude, un regard cerné, assommé de veilles
et de larmes, qui dit ne m’en veuillez pas, mais ce que vous exigez de moi
n’est plus de mon ressort, appartient au jeu normal des vivants dont je saisis
mal les règles, à présent. Vous faites cette photo en mémoire de mon fils, de
cette journée, de cette curieuse cérémonie qui déguise mon garçon en ange du
ciel, mais je peux imaginer que la pellicule n’imprimera pas cette ombre à ses
côtés, ou du moins qu’on l’attribuera plus tard à la percée entre les nuages
d’un éclatant soleil, de

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