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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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bijoux
de pacotille, lui qui pesait les alliances en or sur sa petite balance à deux
plateaux avant d’en fixer le prix selon le cours du moment, s’assurant, par cet
adieu précipité, de n’avoir pas à affronter les jours d’ennui qui s’annonçaient
et le départ de celle qu’il n’avait jamais quittée. Et, alors que l’oncle Emile
lançait comme à son habitude par la porte ouverte de la cuisine les miettes de
pain de son petit déjeuner aux oiseaux, son cœur d’horloger dramaturge décida
d’un arrêt.
    Etant la seule famille du côté paternel, c’est lui, le
pupille de la nation, qui hérita du rôle de tuteur. Un rôle ingrat pour celui
dont l’idéal d’acteur était Jean Tissier. Ce qui ne dit plus grand-chose à
personne, mais en fouillant dans les cinémathèques on peut retrouver sa
silhouette au détour d’une scène, un grand blond au long nez, cheveux coiffés
en arrière mais sans gomina, et avec des épis rebelles, ce qui accentuait
l’impression qu’il se coiffait avec un oreiller. Car il donnait toujours le
sentiment de sortir de la sieste et d’avoir envie d’y replonger au plus tôt,
lâchant deux trois mots d’une voix endormie à travers laquelle on comprenait
qu’articuler lui réclamait un effort aussi grand que pour un bâillement. On
peut le croiser, par exemple, dans un film intitulé « Le Merle
blanc », datant de la fin de la guerre, où Julien Carette, avec son éternelle
allure de petite gouape aristocratique, tête rentrée dans les épaules et regard
par en dessous, danse le nez dans le décolleté d’une femme plus grande que lui
et lui susurre précieusement : Je suis petit, certes, mais j’ai l’avantage
d’être à la hauteur de vos avantages. Mais « le Merle Blanc » n’a pas
laissé non plus un grand souvenir, en tout cas moins que « Le
Corbeau » ou « Les Oiseaux ». Quoi qu’il en soit, Jean Tissier
avait au moins un admirateur, l’oncle Emile, qui l’imitait à la perfection, et
n’hésitait pas à lui emprunter tics et intonation quand il jouait avec son
cousin Joseph dans une adaptation du « Bossu » montée par la petite
troupe locale de théâtre amateur, tenant le rôle d’un très ignoble personnage,
roué, sans scrupule, âme damnée, Peyrolles, ou quelque chose de ce genre,
enveloppé dans une cape avec laquelle, en vrai conspirateur, il se voilait la
face. De toute manière, ses talents nous ne les connaissions que par ouï-dire,
c’est-à-dire par l’évocation qu’en fit en deux ou trois occasions notre père,
un bras devant les yeux mimant le geste du traître, lequel, notre père, par
comparaison, se donnait le beau rôle, bien qu’on lui eût confié – ce
qui nous peinait un peu – non pas celui de Lagardère mais de son
valet, Passepoil (or, après avoir joué Planchet, le valet de d’Artagnan, dans
une adaptation des « Trois Mousquetaires », on était en droit de
s’interroger : comment se fait-il qu’on ne lui confiait pas le rôle
principal ?). Mais sur la foi de sa parole nous admettions qu’il s’y
révélait formidable, et, bien que ne l’ayant jamais vu sur scène, on ne doutait
pas de sa performance d’acteur, le situant donc, par association, bien
au-dessus de Jean Tissier. Car en fait l’oncle Emile avait déjà
renoncé – notre père aussi, mais plus tardivement, et par manque de
temps – à sa carrière de comédien de patronage quand nous
accompagnions notre tante Marie aux répétitions de la petite troupe de théâtre,
prenant place à côté d’elle sur le banc de bois installé dans le trou du
souffleur, d’où elle portait secours aux mémoires défaillantes en postillonnant
à voix basse les répliques volatiles.
    D’ailleurs, pour nous il n’était pas comédien mais
prestidigitateur, et c’est davantage en maître du mystère que nous l’imaginions
jouant de sa cape. Ce qui cadrait mieux avec son enfance singulière. On devine
que c’est contraint et forcé qu’il suivait son dynamique cousin dans ses
multiples aventures (lequel avait construit une barque baptisée « Pourquoi
pas » en hommage au bateau de Charcot, et bien qu’elle parût flotter
contrairement à son illustre éponyme, Emile à l’arrière, lunettes de soleil sur
le nez, élégant quand ses camarades sont déguisés en partie de campagne, mais
un peu raide, ne paraît pas prendre un plaisir extrême à cette expédition
nautique). Son tour de force consistait à escamoter sous

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