Quand un roi perd la France
cette
épreuve.
Pas un moment, Clément ne se
départit de sa majesté ; et il montra bien qu’il était le Saint-Père, le
père de tous les chrétiens et même des autres, puisque lorsque les populations,
un peu partout, mais principalement dans les provinces rhénanes, à Mayence, à
Worms, se retournèrent contre les juifs qu’elles accusaient d’être les responsables
du fléau, il condamna ces persécutions. Il fit même plus ; il décida de
prendre les juifs sous sa protection ; il excommunia ceux qui les
molestaient ; il offrit aux juifs pourchassés l’asile et l’établissement
dans ses États dont, il faut le reconnaître, ils ont refait la prospérité en
quelques années.
Mais pourquoi vous parle-je si
longuement de la peste ? Ah, oui ! À cause des grandes conséquences
qu’elle eut pour la couronne de France, et pour le roi Jean lui-même. En effet,
vers la fin de l’épidémie, dans l’automne de 1349, coup sur coup trois reines,
ou plutôt deux reines et une princesse promise à l’être…
Que dis-tu, Brunet ? Parle plus
haut. Nous sommes en vue de Bourdeilles ?… Ah, oui, je veux regarder. La
position est forte, en effet, et le château bien posé pour commander de loin
les approches.
Voilà donc, Archambaud, le château
que mon frère cadet, votre père, m’a abandonné pour me remercier d’avoir libéré
Périgueux. Car, si je ne suis point parvenu à tirer le roi Jean des mains
anglaises, au moins ai-je pu en tirer notre ville comtale et faire que
l’autorité nous y soit rendue.
La garnison anglaise, vous vous
rappelez, ne voulait pas partir. Mais les lances qui m’accompagnent, et dont
certaines gens se gaussent, se sont, une nouvelle fois, révélées bien utiles.
Il a suffi que j’apparaisse avec elles, venant de Bordeaux, pour que les
Anglais fassent leurs bagages, sans demander leur reste. Deux cents lances et
un cardinal, c’est beaucoup… Oui, la plupart de mes serviteurs sont entraînés
aux armes, de même que mes secrétaires et les docteurs ès lois qui vont avec
moi. Et mon fidèle Brunet est chevalier ; je l’ai fait naguère anoblir.
En me donnant Bourdeilles, mon frère
au fond se renforce. Car avec la châtellenie d’Auberoche, près Savignac, et la
bastide de Bonneval, proche de Thenon, que j’ai rachetées vingt mille florins,
voici dix ans, au roi Philippe VI… je dis rachetées, mais en vérité cela
compensa pour partie les sommes que je lui avais prêtées… avec aussi l’abbaye
forte de Saint-Astier, dont je suis l’abbé, et mes prieurés du Fleix et de
Saint-Martin-de-Bergerac, cela fait à présent six places, à bonne distance tout
autour de Périgueux, qui dépendent d’une haute autorité d’Église, presque comme
si elles étaient tenues par le pape lui-même. On hésitera à s’y frotter. Ainsi
j’assure la paix dans notre comté.
Vous connaissez Bourdeilles, bien
sûr ; vous y êtes venu souvent. Moi, il y a longtemps que je ne l’ai
visité… Tiens, je ne me rappelais point ce gros donjon octogonal. Il a fière
allure. Le voici mien, à présent, mais pour y passer seulement une nuit et un
matin, le temps d’y installer le gouverneur que j’ai choisi, et sans savoir
quand j’y reviendrai, si j’y reviens. C’est peu de loisir pour en jouir. Enfin,
remercions Dieu pour ce temps qu’il m’y accorde. J’espère qu’on nous aura
préparé un bon souper car, même en litière, la route creuse.
III
LA MORT FRAPPE À TOUTES LES PORTES
Je le savais, mon neveu, je l’avais
dit, qu’il ne fallait point escompter, ce jour d’hui, aller plus loin que
Nontron. Et encore n’y parviendrons-nous qu’après le salut, à nuit toute noire.
La Rue me rebattait les oreilles : « Monseigneur se ralentit…
Monseigneur ne va pas se contenter d’une étape de huit lieues… » Eh
ouiche ! La Rue va toujours comme s’il avait le feu au troussequin. Ce qui
n’est point mauvaise chose, car avec lui mon escorte ne s’assoupit point. Mais
je savais que nous ne pourrions quitter Bourdeilles avant le milieu du jour.
J’avais trop à faire et à décider, trop de seings à donner.
J’aime Bourdeilles,
voyez-vous ; je sais que j’y pourrais être heureux si Dieu m’avait
assigné, non seulement de le posséder, mais d’y résider. Celui qui a un bien
unique et modeste en profite pleinement. Celui qui a possessions vastes et
nombreuses n’en jouit que par l’idée. Toujours le ciel balance ce dont il
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