Quand un roi perd la France
il fait aujourd’hui. La belle
lumière que nous avons ! Mais nous risquons fort de rencontrer
l’intempérie, quand nous avancerons vers le nord du royaume. J’ai compté un
gros mois, de telle sorte que nous soyons à Metz pour la Noël, si Dieu le veut.
Non, je n’ai point autant de presse que l’été passé, puisque, contre tout mon
effort, cette guerre s’est faite, et que le roi Jean est prisonnier.
Comment pareille infortune a pu
advenir ? Oh ! vous n’êtes point le seul à vous en ébaubir, mon
neveu. Toute l’Europe en éprouve surprise peu petite, et dispute ces mois-ci
des causes et des raisons… Les malheurs des rois viennent de loin, et souvent
l’on prend pour accident de leur destinée ce qui n’est que fatalité de leur
nature. Et plus les malheurs sont gros, plus les racines en sont longues.
Cette affaire, je la sais par le
menu… Tirez un peu vers moi cette couverture… et je l’attendais, vous
dirais-je. J’attendais qu’un grand revers, un grand abaissement vînt frapper ce
roi, donc, hélas ! ce royaume. En Avignon, nous avons à connaître de tout
ce qui intéresse les cours. Toutes les intrigues, tous les complots refluent
vers nous. Pas un mariage projeté dont nous ne soyons avertis avant les fiancés
eux-mêmes… « Dans le cas où Madame de telle couronne pourrait être
accordée à Monseigneur de telle autre, qui est son cousin au second degré,
notre Très Saint-Père octroierait-il dispense ? »… pas un traité qui
ne se négocie sans que quelques agents des deux parts aient été envoyés ;
pas de crime qui ne vienne chercher son absolution… L’Église fournit aux rois
et aux princes leurs chanceliers, ainsi que la plupart de leurs légistes…
Depuis dix-huit années, les maisons
de France et d’Angleterre sont en lutte ouverte. Cette lutte, quelle en est la
cause ? Les prétentions du roi Édouard à la couronne de France,
certes ! C’est là le prétexte, un bon prétexte juridique, je le conçois,
car on peut en débattre à l’infini ; mais ce n’est point le seul et vrai
motif. Il y a les frontières, de tout temps mal définies, entre la Guyenne et
les comtés voisins, à commencer par le nôtre, le Périgord, tous ces terriers
confusément écrits où les droits féodaux se chevauchent ; il y a les
difficultés d’entente, de vassal à suzerain, quand tous les deux sont
rois ; il y a les rivalités de commerce et d’abord pour les laines et
tissus, ce qui fait qu’on s’est disputé les Flandres ; il y a le soutien
que la France a toujours porté aux Écossais qui entretiennent menace, pour le
roi anglais, sur son septentrion… La guerre n’a pas éclaté pour une raison,
mais pour vingt qui couvaient comme braises de nuit. Là-dessus Robert d’Artois,
perdu d’honneur et proscrit du royaume, est allé en Angleterre souffler sur les
tisons. Le pape, c’était alors Pierre Roger, c’est-à-dire Clément VI, a
tout fait et fait faire pour tenter d’empêcher cette méchante guerre. Il a
prêché le compromis, les concessions de part et d’autre. Il a dépêché, lui
aussi, un légat, qui n’était autre d’ailleurs que l’actuel pontife, le cardinal
Aubert. Il a voulu relancer le projet de croisade, à laquelle les deux rois
devaient participer en emmenant leur noblesse. C’eût été bon moyen de dériver
leurs envies guerrières, avec l’espérance de refaire l’unité de la chrétienté…
Au lieu de la croisade, nous avons eu Crécy. Votre père y était ; vous
avez ouï de lui le récit de ce désastre…
Ah ! mon neveu, vous le verrez
tout au long de votre vie, il n’y a guère de mérite à servir de tout son cœur
un bon roi ; il vous entraîne au devoir, et les peines qu’on prend ne
coûtent pas parce qu’on sent qu’elles concourent au bien suprême. Le difficile
c’est de bien servir un mauvais monarque… ou un mauvais pape. Je les voyais
bien heureux, les hommes du temps de ma prime jeunesse, qui servaient Philippe
le Bel. Être fidèle à ces Valois vaniteux demande plus d’effort. Ils
n’entendent conseils et ne se prêtent à parler raison que lorsqu’ils sont
défaits et étrillés.
C’est seulement après Crécy que
Philippe VI consentit une trêve sur des propositions que j’avais
préparées. Point trop mal, il faut croire, puisque cette trêve a duré, en gros,
à part quelques engagements locaux, de l’an 1347 à l’an 1354. Sept années de
paix relative. Ç’aurait pu être,
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