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Quand un roi perd la France

Quand un roi perd la France

Titel: Quand un roi perd la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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d’Or ;
mais d’appui à la France, il n’en a guère donné, et c’est bien pourquoi je m’en
vais à Metz.
    Le roi Jean, qui n’était encore
alors que duc de Normandie, ne montra point un désespoir extrême de la mort de
Madame Bonne. Il y avait peu d’entente entre eux, et souvent des éclats. Bien
qu’elle eût de la grâce et qu’il lui ait fait un enfant chaque année, onze au
total, depuis qu’on lui avait donné à comprendre qu’il était temps pour lui de
se rapprocher de son épouse dans le lit, Monseigneur Jean, pour l’affection,
inclinait plutôt du côté d’un sien cousin, de huit ans son cadet et d’assez
jolie tournure… Charles de La Cerda, qu’on appelait aussi Monsieur d’Espagne,
parce qu’il appartenait à une branche évincée du trône de Castille.
    Aussitôt Madame Bonne mise en terre,
ce fut en compagnie du beau Charles d’Espagne que le duc Jean se retira à
Fontainebleau, pour fuir la contagion… Oh ! ce vice n’est pas rare, mon
neveu. Je ne le comprends point et il m’encolère fort ; il est de ceux
pour lesquels j’ai le moins d’indulgence. Mais force est de reconnaître qu’il
est répandu même chez les rois, auxquels il fait grand tort. Jugez-en par ce
qu’il advint du roi Édouard II d’Angleterre, le père de l’actuel. Ce fut
la sodomie qui lui a coûté et le trône et la vie. Notre roi Jean n’est pas à ce
point sodomite affiché ; mais il en marque beaucoup de traits, et il les
montra surtout dans sa passion funeste pour ce cousin d’Espagne au trop
gracieux visage…
    Qu’y a-t-il, Brunet ? Pourquoi
s’arrête-t-on ? Où sommes-nous ? À Quinsac. Il n’est point prévu… Que
veulent ces manants ? Ah ! une bénédiction ! Qu’on n’arrête
point mon cortège pour cela ; tu sais bien que je bénis en marchant… In
nomine patris… lii… sancti… Allez, bonnes gens, vous êtes bénis, allez en
paix… S’il fallait s’arrêter chaque fois qu’on me demande une bénédiction, nous
serions à Metz dans six mois.
    Donc, vous disais-je, en septembre
de 1349 Madame Bonne meurt, laissant veuf l’héritier du trône. En octobre, ce
fut le tour de la reine de Navarre, Madame Jeanne, qu’on appelait naguère
Jeanne la Petite, la fille de Marguerite de Bourgogne, et peut-être, ou
peut-être pas, de Louis Hutin ; celle qu’on avait écartée de la succession
de France en faisant peser sur elle la présomption de bâtardise… eh oui,
l’enfant de la tour de Nesle… Emportée par la peste. Son trépas, à elle non
plus, ne fut pas salué par de très longs sanglots. Elle était veuve depuis six
ans de son cousin, Monseigneur Philippe d’Évreux, tué quelque part en Castille
dans un combat contre les Maures. La couronne de Navarre leur avait été
abandonnée par Philippe VI, lors de son avènement, pour prévenir les
revendications qu’ils auraient pu émettre sur celle de France. Cela fit partie
de toutes les tractations qui assurèrent le trône aux Valois.
    Je n’ai jamais approuvé cet
arrangement navarrais qui n’était bon ni en droit ni en fait. Mais je n’avais
pas encore mon mot à dire ! je venais tout juste d’être nommé évêque
d’Auxerre. Et puis même l’aurais-je dis… En droit, cela ne tenait point. La
Navarre venait de la mère de Louis Hutin. Si Jeanne la Petite n’était pas la
fille de celui-ci, mais d’un quelconque écuyer, elle n’avait pas plus de titres
sur la Navarre que sur la France. Donc, si on lui reconnaissait la couronne de
l’une, on étayait ipso facto ses droits sur l’autre, pour elle et pour
ses héritiers. On avouait un peu trop qu’on l’avait écartée du trône non
tellement pour sa présumée bâtardise, mais parce qu’elle était femme, et grâce
à l’artifice d’une loi des mâles inventée.
    Quant aux raisons de fait… Jamais le
roi Philippe le Bel n’aurait consenti, pour quelque raison que ce fût, à
amputer ainsi le royaume de ce qu’il y avait ajouté. On n’assure pas son trône
en lui sciant un pied. Jeanne et Philippe de Navarre s’étaient tenus fort
calmes, elle parce que la chemise de sa mère lui collait un peu trop à la peau,
lui parce qu’il était comme son père, Louis d’Évreux, de nature digne et
réfléchie. Ils semblaient contents avec leur riche comté normand et leur petit
royaume pyrénéen. Les choses allaient changer avec leur fils Charles, jeune
homme fort remuant pour ses dix-huit ans, qui jetait des regards pleins

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