Révolution française Tome 2
pauvres.
Dans les faubourgs on est affamé. Et on sait que les
directeurs banquettent ! Qu’ils ont chaud dans les restaurants du
Palais-Royal ou dans les hôtels particuliers où ils se
retrouvent alors qu’on gèle dans les taudis.
« Le froid est si rigoureux que les aigles des Alpes
paraissent avoir trouvé à Paris la même température que dans les hautes
montagnes. On en a tué un près de Chaillot. »
Barras est inquiet.
La police rapporte que le chômage s’étend parce que les
bateaux ne peuvent plus naviguer sur la Seine prise par les glaces. Les
matériaux manquent. Les artisans ferment leurs ateliers. Et les ouvriers
tiennent des « propos atroces » sur le gouvernement.
Et ces souffrances, cette misère, ne sont pas compensées par
les victoires des armées de la République.
Bonaparte avait imposé la paix aux rois et fait surgir des
Républiques sœurs.
Toute cette construction s’écroule.
Les paysans belges, italiens se révoltent contre les
Français. L’Autriche, l’Angleterre, la Russie, le royaume de Naples, la Turquie,
forment une coalition dont les troupes chassent les Français de Naples et de
Rome. Et les Russes de Souvorov entrent à Milan.
Comment les patriotes pourraient-ils accepter ces revers ?
La perte d’influence et de prestige de la Grande Nation, l’assassinat des
plénipotentiaires français qui négociaient avec les Autrichiens à Rastadt ?
On accuse le Directoire et, aux élections du 18 avril 1799 (29
germinal an VII) pour le renouvellement du tiers des députés du corps
législatif, on élit une majorité de Jacobins et d’opposants aux Directeurs.
Le Conseil des Cinq-Cents demande aussitôt au Directoire des
explications sur les désastres subis par les troupes françaises.
Et le Directoire ne répond pas.
Le Conseil décide alors de siéger en permanence, d’imposer
la démission de Merlin de Douai, de François de Neufchâteau.
Quant à Reubell, il a déjà été éliminé du Directoire par
tirage au sort.
Sieyès a été élu. Barras, qui s’est rallié à la position des
Cinq-Cents, conserve son fauteuil.
La légalité a été respectée, mais derrière les apparences c’est
un nouveau coup d’État qui s’est produit ce 30 prairial an VII (18 juin 1799).
Le régime est toujours aux abois.
Barras, le plus corrompu des Directeurs, a conservé sa place.
La misère n’a pas reculé.
Les troupes de la coalition sont prêtes à envahir la nation.
Dans l’Ouest, les chouans reprennent les armes, s’emparent
de petites villes.
La peur d’une débâcle est si grande que les Directeurs se
sont résignés à donner l’ordre à Bonaparte de rentrer en France.
Mais le message des Directeurs ne parviendra jamais en
Égypte.
35.
Bonaparte en ce mois de juillet 1799 (thermidor et messidor
an VII) ignore tout des intentions du Directoire.
Il se sent aveugle et sourd. Depuis près de six mois, il ne
reçoit plus aucune nouvelle de France, et l’impatience le gagne. Il sent qu’il
doit quitter l’Égypte au plus vite, sinon il s’y enlisera.
Mais il faudrait abandonner ce pays, cette chaleur
accablante, sur un coup d’éclat, une victoire qui effacerait la longue retraite
de la Palestine à l’Égypte, puis l’impuissance face aux troupes du sultan
Mourad Bey qui se dérobe, qu’on pourchasse en vain.
Et les soldats, même les plus aguerris, ceux de l’armée d’Italie,
sont gagnés par le doute. On les assassine dans cette ville du Caire que l’on
ne pourra jamais contrôler.
Et Bonaparte lui-même s’y sent prisonnier.
Le 15 juillet 1799, il reçoit un groupe de cavaliers qui, le
visage brûlé par le sable, lui apportent la nouvelle qu’il attend : une
flotte anglo-turque a débarqué des troupes, plusieurs milliers d’hommes, à
Aboukir.
Voilà le signe. Voilà l’instant.
Il faut rejeter ces Turcs à la mer, et le nom d’Aboukir, qui
rappelle la destruction de la flotte française par les navires de Nelson, le 1 er août 1798, n’évoquera plus qu’une victoire.
Elle couronnera la campagne d’Égypte. Et, auréolé par elle, Bonaparte
pourra regagner la France.
« Cette bataille va décider du sort du monde », dit-il.
Il perçoit l’étonnement des officiers qui l’entourent. Murat
murmure :
« Au moins du sort de l’armée. »
« Du sort du monde », répète Napoléon Bonaparte.
Il ne peut encore leur dire qu’il a besoin de gagner cette
bataille pour rentrer en
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