Révolution française Tome 2
insoumis, déserteurs, embusqués, qui se sont fait détacher
aux ateliers de guerre « et dont la main est plutôt comme celle du peintre
en miniature que du forgeron ou du limeur ». D’autres travaillent dans les
charrois ou les bureaux.
La plupart de ces collets noirs sont issus de la basoche, des
spectacles, de la boutique, de la banque, des administrations publiques.
Il y a parmi eux des gens de lettres, des hommes de loi, des
journalistes poètes, des vaudevillistes, des clercs de notaire et d’avoué. Puis
des comédiens, des garçons marchands, des petits commis, des petits négociants,
des agioteurs, des courtiers, des manieurs d’argent. Tous n’ont qu’un désir :
ne pas rejoindre les armées, éviter d’être « réquisitionnés ».
Ils se rassemblent autour de Fréron qui publie chaque jour
un article violent dans L’Orateur du peuple. Mais souvent il abandonne
la plume pour le gourdin, il fait la chasse aux sans-culottes.
Les muscadins et ses lecteurs sont ses soldats, et ils sont
par leur origine sociale, leur manière de parler, de se vêtir, le contraire des
sans-culottes.
Ils l’emportent peu à peu dans les affrontements qui les
opposent.
Le quartier général des muscadins est au Palais-Royal, redevenu
le foyer du luxe, de l’élégance, du jeu, de l’agiotage, des filles à louer.
Ils se retrouvent aux cafés de Chartres et des Canonniers. On
y acclame Fréron, Tallien et sa Notre-Dame de Thermidor, Thérésa Cabarrus.
Ils molestent les colporteurs des feuilles jacobines, brûlent
leurs journaux, puis ils s’enhardissent, manifestent chaque jour aux Tuileries,
au théâtre.
Ils n’attaquent que s’ils sont en nombre, alors ils
insultent les acteurs accusés d’avoir été « terroristes ». Ils
battent les hommes, fouettent les femmes.
Puis ils s’éloignent, chantant, faisant tourner leur gourdin,
les jambes serrées dans une culotte si moulante qu’« autant vaudrait aller
nu ».
« Ils fourmillent partout », dit un rapport de
police. Leur façon de parler les distingue.
Ils se dandinent dans une attitude pâmée en répétant d’une
voix mourante Ma pa-ole d’honneu-.
Point de « R », la lettre maudite qui rappelle le
mot « Révolution ».
Ils attaquent à quatre contre un les te-o-istes. Ils
font la cour aux me-veilleuses, qui se montrent nues dans des fourreaux
de gaze, c’est, dit-on, le « système des nudités gazées ».
« Il eût fallu leur ôter bien peu de vêtements pour les
faire ressembler à la Vénus des Médicis. »
Et ces me-veilleuses commencent à porter des perruques
blondes tressées avec art.
« Les femmes du peuple les ridiculisent, y portent la
main pour en défaire l’arrangement. »
Mais les muscadins, ces inc-oyables, les pourchassent,
les fouettent puis font la roue devant les me-veilleuses. Ils portent un habit
étriqué, vert bouteille, ou « couleur de crottin » avec dix-sept
boutons de nacre pour rappeler l’ orphelin du Temple, ce Louis XVII dont
le sort émeut.
L’enfant de neuf ans a vécu, depuis la fin octobre 1793, surveillé
par le cordonnier Simon.
Enfermé dans une des grandes salles de la tour principale du
Temple, il est obligé de faire ses besoins dans un coin de la pièce dont on n’enlève
les ordures qu’une fois par mois.
Mal nourri, enfumé par un vieux poêle dont il entretient le
feu, sale, ne changeant de linge que toutes les quatre semaines, son sort s’est
un peu amélioré après le 12 thermidor.
Trop tard, ce n’est plus qu’un enfant rongé par une maladie
osseuse, « sa poitrine est aussi violemment attaquée, son estomac est
rétréci, il ne respire et ne digère qu’avec peine. Le malheureux enfant royal
descend lentement au tombeau », écrit un témoin.
Pour les muscadins Louis XVII n’est qu’un emblème, dix-sept
boutons de nacre, un élément de leur parure, comme ces perruques enfarinées, constituées
par les cheveux des guillotinés.
Ils portent un bicorne en demi-lune, et leur visage émerge d’une
espèce de cornet de mousseline mouchetée de rouille, dont le sommet doit
caresser la lèvre inférieure, et qu’on appelle la « cravate écrouellique ».
Le col de velours noir qui évoque la mort du roi, les grands
revers pointus en châle, les basques carrées taillées en queue de morue, la
culotte serrée qu’on agrafe sous le genou dans un flot de rubans, les bas
chinés, les escarpins découverts qui ne cachent que
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