Spartacus
troupe a pu rançonner à loisir la riche Campanie. Depuis le sommet du volcan endormi, les révoltés ont pu tout voir, mais ils ont également été vus de tous. Il est probable que cette position stratégique leur a assuré le ralliement imprévu mais massif de milliers d’esclaves. A partir de là, Spartacus n’est plus vraiment maître de son destin. Il doit à présent assurer la sauvegarde des pauvres bougres qui spontanément se placent sous sa protection. Quelles sont alors ses motivations ? Pourquoi accepte-t-il un rôle pour lequel le guerrier – pour ne pas dire le mercenaire – qu’il est n’était pas programmé ? A-t-il été touché par le sort misérable de ces hommes qui tendaient leurs mains vers lui ? L’instinct du chef qu’il a peut-être été en Thrace s’est-il réveillé devant cette tâche immense ? Impossible de le dire, mais c’est sans doute ce secret qui donne à Spartacus toute sa dimension humaine. Comme on le voit, l’image mythique semble se brouiller lorsqu’elle est confrontée à la dure réalité de l’histoire.
Pourtant, Spartacus n’en sort pas amoindri. Il a tenté avec une énergie étonnante de sauvegarder la vie des milliers d’esclaves et d’hommes libres qui l’on rejoint durant ces deux années d’errance et d’espérance. Nul ne saura jamais où il comptait réellement aller s’il avait pu atteindre les Alpes. Chacun serait-il retourné chez lui alors que ces hommes n’avaient plus de foyer ? A-t-il rêvé de fonder un royaume quelque part ? Mais son armée résonnait de l’écho d’autant de langues que les étages de la tour de Babel. Connaissait-il seulement lui-même le but ultime de cette migration armée ? En fait, seule semble compter l’absolue nécessité de mettre ces dizaines de milliers d’hommes et leurs rares compagnes à l’abri des maîtres et des bourreaux. Pour reprendre le vers qui conclut la tragédie que Saurin lui consacre « Spartacus expirant brave l’orgueil du Tibre. Il vécut non sans gloire et meurt en homme libre. » Spartacus a échoué, mais à aucun moment son destin personnel ne semble être passé avant la sauvegarde de tous. S’il avait été un charlatan ou un être cupide, comme les rois des précédentes guerres serviles, nous pouvons être persuadés que les historiens grecs et latins se seraient empressés de rapporter et de grossir le trait. Les hésitations de Florus pour qualifier cet homme et l’admiration à peine voilée de Plutarque démontrent l’ambiguïté d’un personnage qui n’entre pas dans les normes classiques du brigand. Il n’est pas possible de connaître l’homme intime à travers leurs écrits, mais il ressort du portrait qu’ils en dressent des qualités propres à impressionner les Anciens, qui en avaient pourtant vu d’autres. Spartacus a été un bon général. Il fut sans doute aussi un politique habile pour tenter, sans toujours y réussir, de maintenir une certaine cohésion entre des hommes aux origines et aux motivations si diverses. Le combat de gladiateurs romains qu’il organise doit être mis sur le compte de cette intelligence politique. Même si cet acte brouille la vision humaniste que nous avons souvent du héros, il faut le resituer dans la réalité de son temps. Tous les vainqueurs de cette époque peuvent clamer « Malheur aux vaincus ! », mais, plutôt que de les passer au fil du glaive, Spartacus préfère mettre en scène leur mort de manière inattendue. Par cet acte, il parvient dans le même temps à démoraliser l’ennemi commun et à fédérer des esclaves aux origines diverses et des libres venus de toute l’Italie. Plus qu’un acte cruel, c’est l’habileté du geste qu’il faut retenir, geste d’un homme qui a toujours voulu maintenir la cohésion entre des hommes que tout opposait. Organisateur de talent, tacticien au coup d’œil très sûr, Spartacus est toujours doté d’une bravoure qui confine parfois à l’héroïsme.
Cela suffit à fonder des légendes. Le mythe de Spartacus a rendu immortel son nom en travestissant souvent la réalité de l’homme. Mais l’histoire peut à bon droit le compter au nombre des destins exceptionnels et des grands meneurs d’hommes… libres.
Sources et bibliographie
Sources antiques sur Spartacus
Sources principales sur Spartacus
Appien, Guerres civiles , 1, XIV.
Florus, Abrégé de l’histoire romaine , III, 21.
Orose, Contre les païens, IV, 7, 12.
Plutarque, Vies
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