Suite italienne
implacables dans leur vengeance. Ils faisaient de bons soldats, mais leur brutalité était proverbiale. À considérer le visage plat et rude de Carlo-Gesualdo, ses yeux durs et l’obstination de son menton, on pouvait déduire sans peine qu’il ne faisait pas exception.
Bercée par les mots et les bras tendres de sa nourrice, Maria expliqua les raisons de ses larmes. Raisons bien simples et même assez banales. Bien sûr, elle n’était pas amoureuse de son époux, comment l’aurait-elle pu ? Mais on lui avait tant répété qu’il en allait ainsi pour presque toutes les filles de bonnes maisons, mariées pour la plupart sans avoir même jamais vu leur fiancé, que l’amour venait après, qu’elle avait naïvement espéré parvenir à ce résultat. Elle était arrivée au seuil de sa nuit de noces toute prête à rendre au centuple l’amour qu’on lui donnerait.
Hélas ! Gesualdo n’était demeuré auprès d’elle que le temps de lui faire subir la plus brutale et la plus déplaisante des expériences. Il l’avait traitée comme une servante ou comme l’une de ces filles que dans les villes prises d’assaut, les hommes d’armes soumettent à leur loi. Et de cette expérience, Maria sortait profondément humiliée, blessée au plus profond de sa sensibilité. Elle ne pourrait jamais oublier ces instants affreux…
Vers minuit, le mari était sorti de la chambre pour regagner ses appartements privés et y dormir « plus à son aise ». Depuis, elle n’avait cessé de pleurer.
— Hier, hoqueta-t-elle en achevant son récit, tout était si beau !
C’était dans la chapelle du Castel Nuovo, le château royal, qu’on l’avait mariée, en présence du vice-roi, son oncle, et de la belle vice-reine, Vittoria Colonna. Toute la cour, tout ce que la province comptait de richesse, de beauté et de noblesse, avait assisté à ces noces fastueuses qui unissaient un vieux nom du royaume de Naples à un autre vieux nom, venu d’Espagne comme cette dynastie d’Aragon qui avait si longtemps régné sur le pays. Les Avalos étaient Grands d’Espagne et régnaient sur Naples au nom de l’empereur Charles-Quint. Maria, vêtue d’or et couverte de pierreries, avait cru vivre un rêve merveilleux. Tout était si splendide que même le peu gracieux époux en avait reçu un reflet romantique. Certes, elle était vraiment prête à l’aimer… si seulement il l’avait voulu…
Felicia haussa les épaules. Don Gesualdo était selon elle un parfait imbécile. Maria était ravissante : longs cheveux noirs et bouclés, prunelles de velours sombre, teint de pêche, silhouette exquise… et il préférait galoper bêtement à la suite de cerfs, de loups ou de sangliers.
— Tu n’as pas eu de chance, ma colombe, lui dit-elle, mais il ne faut pas te désespérer. Tu n’es pas la première qui se retrouve mal mariée. Mais un jour, tu verras, tu rencontreras un vrai, un grand amour, qui te donnera tout le bonheur dont tu rêves.
Ces belles paroles d’espoir, Felicia devait les répéter bien souvent à Maria, durant les deux mortelles années qui suivirent. La jeune princesse commençait à désespérer de connaître un jour ce merveilleux amour… Sa vie était tellement ennuyeuse.
Que ce fût à Naples, ou bien dans ses terres de Basilicate qu’il visitait souvent, le prince passait son temps à la chasse. Tout le jour, il galopait derrière ses chiens, en compagnie de ses piqueurs et de ses gentilshommes, à moins qu’il ne parcourût, faucon au poing, quelque marais. Parfois, il s’absentait plusieurs jours, afin d’aller chasser dans les terres qu’il possédait aux environs de Rome ou dans l’une des îles du golfe de Naples. Quant à sa femme, il s’en occupait aussi peu que possible. Elle tenait sa maison, elle était belle et parfois, la nuit, il allait la rejoindre quand l’envie lui en prenait. Mais en dehors de cela, il la considérait comme un bel objet, une chose précieuse, certes, mais guère plus qu’un cheval de grande race ou un chien bien dressé.
Quand on était à Venosa, Maria sentait le désespoir s’emparer d’elle. Elle n’avait d’autre distraction que regarder l’immense paysage ou se rendre à l’abbaye de la Trinité pour entendre les offices. Le fait que le poète Horace eût vu le jour à Venosa lui était tout à fait indifférent, alors qu’il transportait d’admiration sa tante, la vice-reine Vittoria, éprise de poésie.
À Naples, évidemment,
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