Suite italienne
elle s’accrochait désespérément. Lentement, avec un mauvais sourire, il marcha vers elle.
— Sois tranquille, garce, tu vas aller le rejoindre ton beau freluquet.
D’une brusque secousse, il arracha le rideau, jetant du même coup la jeune femme complètement nue au milieu de la chambre. Par les trous de leurs masques, les yeux des assassins brillaient comme des charbons… La malheureuse, éperdue, voulut fuir mais l’antichambre était barrée. Par la porte entrouverte elle aperçut le cadavre de Felicia, poignardée elle aussi, chercha refuge contre un mur où elle se plaqua.
— Tu as peur, hein ? grinça le prince. La mort te plaît moins que les bras de ton amant.
Il ajouta une injure ignoble puis, rapidement, de la pointe de son épée traça sur le ventre de Maria une croix sanglante. La jeune femme gémit de douleur.
— Par pitié… tuez-moi vite…
— Pourquoi, ironisa Gesualdo. Je ne suis pas pressé. Holà, vous autres, voyez donc la belle allure d’une épouse adultère.
— Tuez-moi, vous dis-je ! cria la jeune femme, vous voyez bien que votre vue me fait horreur.
Si elle avait espéré forcer sa colère à lui porter le coup fatal, Maria avait bien calculé. Avec un cri de rage, le prince bondit sur elle. L’épée jeta un éclair sinistre dans la lueur de la veilleuse puis s’enfonça tout entière dans le ventre déjà blessé.
— Jésus ! cria la jeune femme en s’écroulant aux pieds de son meurtrier.
Mais comme tout à l’heure pour Filippo, la fureur de Gesualdo n’était pas calmée par ce simple coup d’épée. Il en porta encore deux autres au corps étendu, abrégeant ainsi une agonie qui eût pu être longue. Le troisième coup atteignit le cœur et Maria roula auprès de Filippo, une mousse sanglante aux lèvres, les yeux grands ouverts sur l’éternité.
Alors, le prince de Venosa se tourna vers ses hommes :
— Jetez ces deux charognes dans la cour, ordonnat-il en désignant les deux cadavres, et ouvrez grandes les portes. Je veux qu’on sache comment je me venge.
Quelques instants plus tard, les corps de Maria et de Filippo, jetés par une fenêtre du premier étage, s’étalaient au centre de la cour d’honneur. Le jour se levant peu après éclaira un terrible spectacle : deux corps nus et sanglants abandonnés à la curiosité et à la cruauté des passants.
Toute la journée ceux-ci se pressèrent à la porte du palais, contemplant ces deux cadavres qui avaient été des êtres jeunes et beaux et autour desquels bourdonnaient les mouches. Mais personne n’eut même envie de se moquer. Les hommes étaient précipitamment leurs bonnets, les femmes se signaient : tous étaient terrifiés. Seuls, des chiens vinrent lécher le sang. Debout à une fenêtre, don Gesualdo, les bras croisés, regardait.
Il savait qu’il n’avait rien à craindre de la justice du vice-roi. Si grand que fût le chagrin du marquis de Pescara, il ne pouvait s’attaquer à un époux qui avait vengé son honneur. La justice de don Gesualdo, brutale et féroce, était aux couleurs du temps. Il n’avait fait qu’exercer son droit d’époux bafoué…
Mais ce que pouvait le vice-roi, c’était faire cesser le scandale de cette barbare exposition. Au coucher du soleil, un envoyé du palais vint ordonner au prince de Venosa de remettre les restes de Filippo d’Andria et de Maria d’Avalos à chacune des deux familles afin que leur fût donnée une sépulture chrétienne. Force fut à don Gesualdo de s’incliner.
Le lendemain, il repartait pour ses terres de Basilicate. Les couleurs du temps voulaient aussi qu’une famille vengeât son enfant abattue, même si elle était adultère, et le prince de Venosa n’avait pas envie de mourir. Il voulait encore chasser…
DU MÊME AUTEUR CHEZ POCKET
Marianne
I. UNE ÉTOILE POUR NAPOLÉON
2. MARIANNE ET L’INCONNU DE TOSCANE
3. JASON DES QUATRE MERS
4-TOI, MARIANNE
5-LES LAURIERS DE FLAMME – I re PARTIE
6. LES LAURIERS DE FLAMME – 2 e PARTIE
Le jeu de l’amour et de la mort
I. UN HOMME POUR LE ROI
2. LA MESSE ROUGE
3. LA COMTESSE DES TÉNÈBRES
Secret d’État
1. LA CHAMBRE DE LA REINE
2. LE ROI DES HALLES
3. LE PRISONNIER MASQUÉ
Le boiteux de Varsovie
1. L’ÉTOILE BLEUE
2. LA ROSE D’YORK
3. L’OPALE DE SISSI
4. LE RUBIS DE JEANNE LA FOLLE
Les Treize Vents
I. LE VOYAGEUR
2. LE RÉFUGIÉ
3. L’INTRUS
4. L’EXILÉ
Les loups de Lauzargues
I. JEAN DE LA
Weitere Kostenlose Bücher