Tragédies Impériales
sœur. Il espérait qu’en serait heureuse…
Hélas, au reçu du télégramme, Alix piqua la première des effrayantes crises de nerfs dont elle allait, par la suite, user avec quelque succès auprès d’un époux trop facilement impressionnable. Et quand Ernest-Louis rentra à Darmstadt, ce fut pour affronter une véritable furie déchaînée.
Mais il n’était pas de la même trempe que Nicolas et, laissant passer la vague de colère, il attendit une accalmie pour déclarer, le plus calmement du monde, à sa sœur qu’il entendait se marier que cela lui plût ou non, qu’il entendait également qu’elle se montrât aimable envers sa future belle-sœur et que, si elle ne se sentait pas capable de ce léger effort, il ne l’empêcherait nullement de quitter Darmstadt et d’aller résider, avec une dame d’honneur, dans l’un des châteaux du grand-duché.
— Je te servirai une rente grâce à laquelle tu pourras vivre convenablement et en toute indépendance, ajouta-t-il.
Médusée devant un tel traitement, Alix fit une crise de larmes, puis se soumit. Elle accepta même d’écrire à la jeune Victoria une lettre de bienvenue, mais ce fut très tristement qu’elle suivit son frère à Cobourg où devait avoir lieu le mariage. Il fallait que son destin à elle changeât par la même occasion, car elle n’accepterait jamais de ne plus occuper que la seconde place en Hesse.
Or, à Cobourg se réunissait à cette occasion la majorité des princes d’Europe. La reine Victoria elle-même faisait le voyage pour assister au mariage de son petit-fils et ce fut à elle qu’Alix s’adressa. Puisqu’elle était si brillamment intervenue dans le destin de son frère, pourquoi ne s’occupait-elle pas du sien, à elle, sa petite-fille, qu’elle avait en partie élevée ?
— Je ne demande pas mieux, dit la Reine, mais tu n’as pas voulu épouser Clarence. Qui souhaites-tu donc épouser ?
— Je ne sais pas. Mais je veux quelqu’un de grand, quelqu’un qui me donne la place à laquelle ma naissance me permet de prétendre…
Victoria haussa les épaules :
— Ne sais-tu pas ce que tout le monde proclame ici parce que cela crève les yeux ? Que le tsarévitch est follement amoureux de toi ? Toi seule n’as pas l’air de t’en apercevoir !
— Je vous assure que si, Granny, mais puisque Nicolas me souhaite pour épouse, il est bien le seul chez lui. Ses parents ne veulent pas de moi.
— Ils pourraient changer d’avis. Laisse-moi faire. Rien ne me serait plus agréable (à moi et à l’Angleterre, bien entendu) que tu deviennes un jour impératrice de toutes les Russies !
La splendeur du titre fit rougir Alix. Que pourrait-elle en effet souhaiter de plus haut, de plus grand ? Il n’y aurait au monde personne de plus élevé qu’elle… tout au moins quand le tsar Alexandre aurait quitté ce monde, car jusque-là, il lui faudrait se contenter du second rang, derrière cette Marie Fédorovna qu’elle détestait d’instinct. Un autre argument lui vint tout naturellement aux lèvres :
— Il me faudrait pour cela changer de religion. Je ne veux pas être apostate, je ne veux pas me damner pour une couronne, fut-elle impériale.
— Quelle sottise ! Si tu veux que je te marie, laisse-moi faire, sinon retourne à Darmstadt et apprête-toi à mener l’amère existence d’une vieille fille.
Rien ne résistait à Victoria quand elle le voulait et, le 5 avril 1894, Nicolas écrivait dans son cher journal :
« J’ai trouvé Alix encore embellie depuis que je ne l’avais vue, mais elle avait l’air triste. Nous sommes restés seuls ensemble tous les deux, et enfin a pu avoir lieu la conversation que je désirais et redoutais à la fois. Nous avons parlé jusqu’à midi, mais sans résultat, puisqu’elle ne pouvait se décider à accepter de changer de religion. La pauvre petite a beaucoup pleuré, mais s’est un peu calmée avant que nous nous quittions… »
Trois jours plus tard, c’était le triomphe. Alix avait bien voulu se laisser convaincre.
« Une magnifique et inoubliable journée, celle de mes fiançailles avec ma bien-aimée et incomparable Alix… »
L’événement fit l’effet d’un coup de tonnerre et du coup, le mariage d’Ernest-Louis en l’honneur duquel tout ce monde s’était rassemblé passa au second plan. Alix, fort adulée, acquit un gros prestige, non seulement à ses propres yeux (ce qui n’était pas difficile car elle s’était
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