Traité du Gouvernement civil
à tous ses enfants, et l'a appropriée à la personne qui l'a puisée.
30. Ainsi, cette loi de la raison, fait que le cerf qu'un Indien a tué est réputé le bien propre de cet homme, qui a employé son travail et son adresse, pour acquérir une chose sur laquelle chacun avait auparavant un droit commun. Et parmi les peuples civilisés, qui ont fait tant de lois positives pour déterminer la propriété des choses, cette loi originelle de la nature, touchant le commencement du droit particulier que des gens acquièrent sur ce qui auparavant était commun, a toujours eu lieu, et a montré sa force et son efficace. En vertu de cette loi, le poisson qu'un homme prend dans l'Océan, ce commun et grand vivier du genre humain, ou l'ambre gris qu'il y pêche, est mis par son travail hors de cet état commun où la nature l'avait laissé, et devient son bien propre. Si quelqu'un même, parmi nous, poursuit à la chasse un lièvre, ce lièvre est censé appartenir, durant la chasse, à celui seul qui le poursuit. Ce lièvre est bien une de ces bêtes qui sont toujours regardées comme communes, et dont personne n'est le propriétaire : néanmoins, quiconque emploie sa peine et son industrie pour le poursuivre et le prendre, le tire par-là de l'état de nature, dans lequel il était commun, et le rend sien.
31. On objectera, peut-être, que si, en cueillant et amassant des fruits de la terre, un homme acquiert un droit propre et particulier sur ces fruits, il pourra en prendre autant qu'il voudra. je réponds qu'il ne s'ensuit point qu'il ait droit d'en user de cette manière. Car la même loi de la nature, qui donne à ceux qui cueillent et amassent des fruits communs, un droit particulier sur ces fruits-là, renferme en même temps ce droit dans de certaines bornes * . Dieu nous a donné toutes choses abondamment. C'est la voix de la raison, confirmée par celle de l'inspiration. Mais à quelle fin ces choses nous ont-elles été données de la sorte par le Seigneur? Afin que nous en jouissions. La raison nous dit que la propriété des biens acquis par le travail doit donc être réglée selon le bon usage qu'on en fait pour l'avantage et les commodités de la vie. Si l'on passe les bornes de la modération, et que l'on prenne plus de choses qu'on n'en a besoin, on prend, sans doute, ce qui appartient aux autres. Dieu n'a rien fait et créé pour l'homme, qu'on doive laisser corrompre et rendre inutile. Si nous considérons l'abondance des provisions naturelles qu'il y a depuis longtemps dans le monde; le petit nombre de ceux qui peuvent en user, et à qui elles sont destinées, et combien peu une personne peut s'en approprier au préjudice des autres, principalement s'il se tient dans les bornes que la raison a mises aux choses dont il est permis d'user, on reconnaîtra qu'il n'y a guère de sujets de querelles et de disputes à craindre par rapport à la propriété des biens ainsi établie.
32. Mais la principale matière de la propriété n'étant pas à présent les fruits de la terre, ou les bêtes qui s'y trouvent, mais la terre elle-même, laquelle contient et fournit tout le reste, je dis que, par rapport aux parties de la terre, il est manifeste qu'on en peut acquérir la propriété en la même manière que nous avons vu qu'on pouvait acquérir la propriété de certains fruits. Autant d'arpents de terre qu'un homme peut labourer, semer, cultiver, et dont il peut consommer les fruits pour son entretien, autant lui en appartient-il en propre. Par son travail, il rend ce bien-là son bien particulier, et le distingue de ce qui est commun à tous. Et il ne sert de rien d'alléguer que chacun y a autant de droit que lui, et que, par cette raison, il ne peut se l'approprier, il ne peut l'entourer d'une clôture, et le fermer de certaines bornes, sans le consentement de tous les autres hommes, lesquels ont part, comme lui, à la même terre commune. Car, lorsque Dieu a donné en commun la terre au genre humain, il a commandé en même temps à l'homme de travailler; et les besoins de sa condition requièrent assez qu'il travaille. Le créateur et la raison lui ordonnent de labourer la terre, de la semer, d'y planter des arbres et d'autres choses, de la cultiver, pour l'avantage, la conservation et les commodités de la vie, et lui apprennent que cette portion de la terre, dont il prend soin, devient, par son travail, son héritage particulier. Tellement que celui qui, conformément à cela, a
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