Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
serpillière et un balai-brosse, demain nous serons dans le Bureau
ovale. »
Quoique le métissage augmentât et qu’il fût moderne, parce
que les Cheyennes, les Tonkinois, les Chicanos, les tourneurs de raviolis chinois
ou de pizzas, les Africains se mélangeaient davantage, sans préjugés mais avec
naturel, cette Amérique des quakers et des hippies semblait ne point connaître
officiellement les nuances ; on s’y déclarait blanc ou noir, on ne savait
pas nommer les mille raffinements de l’éventail brésilien des couleurs de peau,
chocolat, café, cuivré, caramel, rhum, ocre, ivoire. M. Obama, à
quarante-sept ans, symbolisait un pays forgé par des immigrés venus de tous les
horizons avec toutes les couleurs et toutes les croyances, on eût dit qu’il les
ramassait en lui et redonnait à son continent si vaste la morale des fondateurs
contre celle des pétroliers.
Son père très noir appartenait à la tribu Luo qui élevait
des chèvres, au Kenya, mais en habile économiste il fut invité à l’université d’Honolulu ;
musulman et boursier, il y rencontra une étudiante très blanche du
Kansas ; M. Obama en naquit, à Hawaii, le pays des chemises à fleurs
et des palmiers. Quand il eut deux ans, son père partit à Harvard puis rentra
en Afrique où il pensait en vain jouer un rôle, mais il se tua dans un accident
de voiture. Sa mère se remaria à un homme d’affaires indonésien et le jeune
M. Obama apprit le Coran à Djakarta avant d’étudier dans une école
catholique. Revenu en Amérique, diplômé, il refusa un emploi dans une firme de
Wall Street pour choisir le South Side de Chicago et y défendre les pauvres.
Quand à vingt ans on lui donna cinq minutes pour évoquer l’apartheid devant des
étudiants de Los Angeles, il fascina son auditoire pendant une
demi-heure ; il mesura ce jour-là son ascendant. Plus tard il devint
sénateur de l’Illinois au siège de M. Lincoln, l’un de ses modèles, et,
comme celui-ci désireux de rassembler pour apaiser, il choisit désormais dans
ses discours le nous à la place du je .
Notre Tressautant Leader était piqué. L’empereur Obama lui
volait la vedette en le remplaçant à la une des gazettes, même en France, quant
à l’impératrice Michelle, qui avait belle et énergique tournure, dont les
ancêtres étaient arrivés enchaînés du Ghana pour trimer en Caroline du Sud,
elle éclipsait la ci-devant comtesse Bruni. L’une était avocate et militante,
très à l’aise pour parler aux foules ; l’autre n’avait que son minois
glacé et un filet de voix pour susurrer des berceuses.
Lorsque Notre Égotiste Leader avait croisé son nouveau
collègue, deux ans plus tôt, il avait dit : « Ce type-là c’est une
star ! », sans penser qu’un jour il serait par lui vieilli.
Il voulut se raccrocher, fut le premier à féliciter l’empereur
Obama en lui expédiant une missive à cinq heures vingt-six du matin, soit
quatre minutes après les résultats de son élection ; malencontreusement il
ajouta de sa main un cher Barak , comme si les deux se fréquentaient à l’intime,
mais il omit une lettre car cela devait s’écrire Barack , ce qu’une
gazette tabloïde de Germanie releva pour se moquer du fanfaron. Cela n’empêchait,
Notre Prince voulait figurer au côté de l’empereur Obama pour sauver le monde,
et former un attelage, mais l’Américain y était fort réticent. Dans une gazette
non encore trop formatée par le régime, nous eûmes droit à la comparaison point
par point de l’empereur Obama et de Nicolas I er . Le premier
était grand et élancé, le second trapu et moindre. Le premier s’habillait chez
Brooks Brothers, le second, malgré des costumes sur mesure, semblait toujours
sortir d’un sketch de M. Fernand Raynaud. Le premier se détendait en
jouant au basket, le second en accumulant les petites foulées autour de la
pelouse du Château. Le premier lisait Moby Dick , Shakespeare et
Nietzsche, le second préférait Thierry la Fronde et le vélo. Le premier
réglait chacune de ses phrases et n’improvisait jamais, le second adorait
sortir de son texte et se livrer à des digressions d’un goût parfois
contestable. Le premier voulait ouvrir son gouvernement pour terrasser la
Crise, le second pour torpiller les partis adverses. Le premier trouva des
soutiens de prestige à Hollywood et chez des musiciens en renom comme Stevie
Wonder ou Bruce Springsteen, le second ne nous présenta que des
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