Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
Chapitre Premier
NOTRE PRINCE EN
DINDON. – LA COUR CONSIDÉRÉE COMME UN POTAGER. – MADEMOISELLE
EDVIGE. – LA CRISE. – L’ART DE SE CACHER DERRIÈRE. – LA REVANCHE
DU CHEVALIER DE GUAINO. – VIRAGE À 180°. – QUE LES MISÉRABLES SE
DÉPATOUILLENT. – M. OBAMA DESCEND DU CIEL. – ÉCLIPSE DE NOTRE
SÉMILLANT LEADER. – COMMENT IL ENRAGE.
A U SORTIR DE L’ÉTÉ, N OTRE G IGOTANT M ONARQUE gonflait
ses plumes et faisait la roue. L’an 2008 fortifiait ses appétits de pouvoir
solitaire et il croyait étinceler aux yeux du monde entier, car il présidait
pour six mois l’Union des Royaumes européens qu’il ne se privait point de
bousculer, méprisant ces nations coagulées par l’intérêt qui n’avaient pas la
même vitalité, les mêmes envies ni la même langue. Sans prévenir personne ainsi
qu’il s’y était habitué à domicile, le Prince avait donc sacrifié une part de
ses vacances au cap Nègre pour courir au nom de l’Europe de Pékin à Damas,
Moscou, Tbilissi, partout jouant le Surempereur providentiel, partout se
haussant du plastron dans cette sorte d’insolence qui a plus fait détester les
tyrans que leur tyrannie.
Notre Leader Survolté avait décidé que ses actes seraient
désormais historiques, et il le serinait, et il se vantait, et il le prouvait
en racontant que, seul, avec ses petits bras, il avait empêché l’armée russe d’envahir
cette Géorgie dont le gazoduc et l’oléoduc échappaient à l’emprise du
tzar ; il se prit alors pour ce valeureux Chinois en chemisette blanche,
lequel arrêta en sautillant une colonne de blindés qui partait écrabouiller des
étudiants sur la place Tian’anmen, vingt ans plus tôt. En vérité, Notre Naïf
Satrape ne sauva point la Géorgie de son terrible voisin puisque le tzar Vladimir
en annexa deux provinces, sur les contreforts du Caucase, qu’il transforma à
perpétuité en camps militaires : Tbilissi, la capitale, restait à portée
de canon. Les accords de paix hâtifs que Notre Prince Fébrile avait obtenus
allaient tourner au désastre pour les populations coupées en deux par les
nouvelles frontières, dessinées par Moscou, les unes réfugiées sous des tentes,
les autres enrégimentées par l’Empire russe. Le tzar Vladimir avait l’œil froid
et un sourire de loup ; Nicolas I er , qu’il avait dupé,
était devenu sa risée et son jouet, et il le traitait en privé de dourak ,
c’est-à-dire de cinglé. Quant au tzarévitch Dimitri, remuant fort de l’épaule
et se dévissant le cou, il souleva une vague de rires, lors d’un banquet à
Washington, par son imitation comique de Notre Majesté, mais les gazettes
françaises furent les plus timides pour relever cette saynète.
Rien ne devant écorner l’image sacrée de Notre Glorieux
Leader, les plumitifs préféraient rapporter une confidence lâchée dans l’avion
qui l’avait emmené de Moscou à Tbilissi, autrement dit des trompeurs chez les
trompés : « J’bosse pas pour les gazettes, hein, moi j’bosse pour les
livres qu’on va écrire sur moi et sur tous mes talents. »
Nicolas I er était un homme sans vision. Dans
la société marchande qu’il aimait tant, il figurait une marchandise, vendait
sans relâche son énergie, ses réussites imaginaires, des exploits que les
gazetiers complices ou complaisants relayaient dans l’opinion, orchestraient,
fortifiaient, disaient et redisaient afin que cela rentrât profond dans les
cervelles. Ce fut donc en magnifiant son action à l’étranger que s’estompèrent
les effets domestiques d’une mauvaise finance, et que la cote de Sa Majesté
remonta un peu chez les ouvriers et les modestes, plus faciles à berner. Lorsqu’un
général vainqueur avait droit au triomphe dans les rues de Rome, debout
derrière lui, sur son char, l’esclave qui tenait la couronne de laurier
au-dessus de sa tête bouillonnante lui murmurait : « N’oublie pas que
tu es mortel… » Hélas, rien chez nous de cette pratique. La Cour se
prosternait devant le Prince et saluait tous ses mots comme des bons mots.
Notre Précieux Leader considérait ses courtisans comme les
légumes de son potager, bien alignés, silencieux, calibrés, disponibles,
dépendants de son vouloir, juste faits pour la soupe. À ce propos, une histoire
se colportait dans les coulisses du Château. Le Prince était à table avec des
ministres et des élus quand le maître d’hôtel lui demanda :
— Que
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