Un caprice de Bonaparte
n’essaierai pas de fuir : seulement, si l’un de vous me touche, il aura mon poing sur la gueule ! En avant, maintenant, tous au commissariat ! ( Les agents obéissent et se rangent en ordre de marche. Les gens s’écartent pour leur livrer passage. La petite troupe se met en route. Fourès, dressé au milieu d’elle .) Vive la République ! A bas le dictateur ! A bas Bonaparte !
(Grand tumulte. Les ouvriers sifflent et crient, quelques-uns lancent : « Vive la République ! A bas la Dictature : » – D’autres entonnent « La Marseillaise » et le « Ça ira ». Tous se joignent au cortège.)
NEUVIÈME TABLEAU
Le lendemain matin, au ministère de la police, quai Voltaire. La scène représente une vaste pièce qui sert de bureau au ministre. Au mur, diverses lithographies figurant l’histoire de la Révolution et de ses chefs.
FOUCHÉ, à sa table de travail, en train d’écrire.
UN HUISSIER, annonce :
Le Premier Consul !
(Aussitôt font leur apparition deux soldats de la garde consulaire, en grand uniforme, l’arme à l’épaule. Ils se placent à droite et à gauche de la porte. Ils ne s’en iront en tirant les deux battants de la porte qu’après l’entrée de Bonaparte.)
BONAPARTE, entre rapidement sans saluer. Il a l’air moins jeune, mais aussi plus important. Ses cheveux châtains, coupés court, à la romaine, mettent encore plus en évidence son profil sévère. Il ne porte plus le simple uniforme républicain, mais la tenue pompeuse du Premier Consul. On sent bien, autant à cette modification vestimentaire qu’à son comportement guindé et cérémonieux, que depuis la campagne d’Egypte il a franchi un nouvel échelon du pouvoir.
Citoyen ministre, je suis dans l’obligation de venir vous trouver à votre bureau. On vient de m’apprendre qu’il y a eu un scandale hier à Belleville. Un bavard de Jacobin aurait proféré publiquement des injures à mon endroit. Mais je ne trouve aucune trace de cet incident dans votre rapport d’aujourd’hui. Ou vous êtes mal informé ou vous fermez les yeux. Il semble que mon ministre de la police ignore ce qui se passe à Paris !
FOUCHÉ, calmement :
Nullement, je suis au courant.
BONAPARTE.
Alors veuillez m’expliquer pourquoi ne m’en a-t-on pas instruit immédiatement ?
FOUCHÉ.
J’ai considéré qu’il était de mon devoir de ne pas vous importuner avec des futilités, la veille de la marche sur l’Italie.
BONAPARTE.
Il n’y a pas de futilités en politique ! Même si je devais être cent fois aux armées, que je me trouve à Moscou ou à Constantinople, pas un clou ne doit être déplacé à Paris sans que j’en sois avisé ! A l’avenir vous voudrez bien me laisser moi-même apprécier siune chose est importante ou pas ! Ainsi, par exemple, je constate que c’est pour vous une bagatelle quand on hurle sur la voie publique que je veux égorger la République. Tel n’est pas mon avis ! Et je vous le dis tout de suite : si vous voulez rester mon ministre de la police, il faut que ce coquin soit mis en état d’arrestation dans les vingt-quatre heures.
FOUCHÉ.
Il y a longtemps que le nécessaire est fait. Je le tiens bien.
BONAPARTE.
Pour le laisser échapper comme Cadoudal et les terroristes ! Il s’agit probablement d’un de vos vieux amis du club des Jacobins ? Qui est-ce ?
FOUCHÉ.
Un pauvre diable sans importance. Ancien officier dans vos armées.
BONAPARTE, de plus en plus irrité par la froideur de Fouché .
Ce n’est pas exact. Aucun officier ayant servi sous mes ordres ne lancerait pareille attaque contre son général. Vous ne dites pas la vérité, citoyen ministre ! ( Fouché se tait .) Alors, son nom.
FOUCHÉ.
Je vous l’ai déjà dit. C’est un petit officier sans relief. Vous l’avez connu en Egypte. Il s’appelle Fourès.
BONAPARTE, reste interloqué. Puis il va et vient en changeant complètement de ton et doucement, presque confidentiellement.
Tonnerre ! Comment l’imbécile a-t-il fait pour rentrer si vite d’Egypte ? Ordinairement, ils ne sont pas si généreux que cela en fait de congés ? Désertion, probablement !
FOUCHÉ.
Pas du tout ! Libéré honorablement et embarqué dans le premier bateau qui a suivi le vôtre !
BONAPARTE.
Je comprends : c’est une gentillesse particulière de mes généraux. Mais le
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