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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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qu’ils désiraient.
    Un petit jeune, chauve avec des lunettes rondes, nouveau dans la bande, était déjà collé à l’oreille de Mado qui ne semblait pas spécialement intéressée.
    — Et pour monsieur, la même chose.
    — Oui, oui, la même chose…
    Mado en profita pour tourner enfin son regard vers moi. On s’était compris. Personne n’a remarqué le clin d’œil qu’elle m’adressa. Ils n’ont pas vu, non plus, le mouvement de ses lèvres m’envoyant un baiser par-dessus leurs têtes.
    Elle m’avait pardonné.
    Je l’ai laissée rire avec le gros Samyr, se rappeler des souvenirs. Je savais qu’elle me raconterait. Elle a dansé aussi. Un boléro, je crois.
    Son partenaire, un bellâtre au regard dur, l’enlaçait un peu trop à mon goût.
    Je me consolais en pensant que c’est moi qui rentrais avec elle.
    Une belle soirée, comme on n’en fait plus de nos jours.
    Mado a demandé au gros Samyr s’il était satisfait de moi, puis elle s’est souvenue brusquement d’une lettre qu’elle m’avait portée exprès pour me faire plaisir.
    — Fouille dans mon sac, me dit-elle, tu trouveras une enveloppe à ton nom. Elle a été postée à Bellac… J’imagine que c’est urgent.
    C’était Lucienne. J’ai reconnu aussitôt son écriture pointue comme ses chapeaux et son nez. J’étais content, malgré tout, mais j’ai attendu avant de l’ouvrir que les derniers clients soient partis.
    À la table de Mado, on avait bu. Elle-même paraissait moins pâle sous son maquillage. Elle mettait de la poudre de riz très fine pour adoucir encore la transparence de son teint. Elle prétendait que seules les pin-up avaient droit au bronzage. « Après vingt ans, ça fait vulgaire », disait-elle.
    Il était quatre heures du matin, au moins. Le gros Samyr m’a prié de boucler la porte de « La Maison rose ». José Latour a plaqué les accords finals de la mélodie lancinante qu’il jouait toujours en fin de soirée et, dans le silence revenu, je me souviens parfaitement avoir entendu le petit chauve aux lunettes rondes, en proie à une extrême agitation, s’écrier :
    — Moi, je ne me ferai pas baiser par les bougnoules !
    — Ta gueule, Fredo, on n’est pas au souk, ici !
    La réplique fusa sec.
    Mathias n’aimait pas les matamores, et je n’étais pas mécontent qu’il fasse tomber négligemment sa cendre de cigarette dans le verre de ce Fredo, affalé maintenant sur Mado.
    Roger, mon collègue barman, que rien n’intéressait hormis le résultat des courses, me conseilla quand même de « mettre les voiles », selon son expression préférée.
    — Va y avoir du tangage, moi, je me tire, je veux pas me faire trouer pour leurs beaux yeux.
    Je me suis rassuré au regard de Mado, elle ne semblait pas vraiment émue. Elle savait, par expérience, que les hommes originaires de ces pays ont le verbe haut. N’empêche, la conversation, longtemps feutrée, s’emballait dangereusement.
    — Oui, je répète : « Ta gueule, Fredo, ce n’est pas toi qui décides ici ! »
    Le gros Samyr rattrapa au vol le cendrier qui menaçait Mathias, déjà entouré des deux costauds, rabatteurs et gardes du corps à la fois.
    — Sortez-le, leur dit-il sans élever la voix, sur le ton péremptoire de quelqu’un habitué à donner des ordres.
    L’autre n’a pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait, qu’il était jeté sur le pavé comme un pantin chiffonné.
    — T’aurais pas dû, Mathias… Il est dangereux dans son genre.
    — Pas tant que moi, Samyr, tu devrais le savoir. Les pédés ne sont pas toujours ceux que l’on croit…
    Mado profita de l’accalmie pour se lever enfin. Mathias fit de même pour la laisser passer galamment. Oui, c’est aux bonnes manières qu’on reconnaît les grands voyous.
    — Madame n’est pas fâchée, j’espère ? Elle est ici chez elle.
    — Te fatigue pas, Mathias, les beaux jours sont finis… Bonsoir, messieurs, et bonne chance quand même !
    Le gros Samyr se précipita vers nous.
    — J’emmène le petit, lui dit Mado, au point où vous en êtes, vous n’avez plus besoin de lui.
    — Bien sûr, ma poule ; d’ailleurs, je vais vous raccompagner jusqu’à Pigalle.
    Nous descendîmes la rue des Martyrs sans parler. Nous poursuivions chacun d’anciens souvenirs.
    Pourquoi, si longtemps après, résonne encore dans ma mémoire le claquement des talons aiguilles d’une femme qui s’en va.
    Boulevard de Clichy, le premier

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