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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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heures trente. À quel nom ?
    — Laurent.
    — Comme le prénom ?
    — Oui, madame.
    J’avais attendu d’être arrivé dans la cabine publique du métro Anvers pour téléphoner. Durant le trajet, j’avais envisagé plusieurs façons de me présenter, ne sachant pas si je devais me découvrir immédiatement ou poser d’abord certaines questions.
    L’assistante du professeur ne m’en avait pas laissé le temps. J’ai donc pris rendez-vous comme un client, parmi d’autres.
    J’allais devoir patienter dix jours encore. Le ciel était bas sur Paris. On pouvait croire qu’il neigerait dans la soirée. Pigalle prenait la couleur d’une chanson réaliste : bleu-gris.
    Ce décor me convenait parfaitement. J’y flânais avec plaisir à l’idée de m’en souvenir un jour, m’arrêtant çà et là, voyeur impuni. Je surprenais des couples illégitimes au fond des cafés, près des toilettes, je prêtais de curieuses intentions aux sergents de ville et quand je voulais m’amuser un peu, j’entrais avec une mine de conspirateur chez la grosse boulangère de la rue de Douai.
    Elle avait l’air stupide des femmes qui votent comme leur mari ; sa blouse de nylon blanc craquait sur ses seins lourds, pareils à des pains de campagne.
    Mollement avachie derrière son comptoir de marbre, tel un hippopotame décoloré, elle vous fixait d’un regard torve :
    — Et pour monsieur, qu’est-ce que ce sera ?
    Même sa voix était molle.
    J’avançais vers elle à pas lents, en surveillant si je n’étais pas suivi et, sans lui laisser le temps de réagir (en avait-elle la force ?), je lui chuchotais à l’oreille :« Je fais un livre sur les collabos, ma brave dame, et on me dit que vous avez été très bonne avec la police allemande en 42… Vous avez bien quelques histoires à me raconter, hein ? »
    Elle sursautait enfin, s’agrippait à sa caisse pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas en poussant des couinements apeurés.
    — Hui ! hui ! hui ! Menteur, vous êtes un menteur, mes papiers sont en règle.
    — Il faudra le prouver, ma bonne dame… Car moi, j’ai des preuves.
    J’insistais pour l’entendre couiner encore un peu, et je me sauvais rapidement en relevant le col de mon pardessus. Une manière de cinéma qui inquiète les boulangères.
    Celle-là avait une tête de coupable. Je n’y peux rien.
    On me reprochera sans doute ces plaisanteries de mauvais goût, mais il faut bien que jeunesse se passe.
    Ce jour-là, je n’avais pas le cœur léger. En remontant la rue Germain-Pilon, qui prend près de la place Pigalle et débouche rue des Abbesses, à deux minutes de « La Maison rose », je suis tombé sur Mimi, postée devant chez le tatoueur.
    Un endroit étonnant, où les mâles venaient de loin se faire bleuir la peau par un artisan réputé. Les séances, qui avaient lieu en vitrine, offraient un spectacle gratuit aux filles du quartier.
    Je faisais parfois le détour pour me divertir un instant avant de prendre mon travail.
    Mimi surveillait sa clientèle.
    — Te revoilà, toi ! me dit-elle. Je croyais que tu étais rentré dans les ordres…
    — Pourquoi ? J’ai une tête de moine.
    — Non, mais tu es triste comme un enfant de chœur qui vient de rater la messe…
    Mimi plaçait toujours une réplique de théâtre dans sa conversation. En la voyant tellement à l’aise sur ce trottoir, je trouvais dommage qu’elle ne réussisse pas.
    — L’année prochaine, j’irai au festival de Cannes. Au moins là-bas, quand on montre son cul, ça sert à quelque chose…
    Elle était parfaite, mais qui le savait ?
    — Vise un peu le marin en vitrine, celui qui attend son tour torse nu… Si y m’montre son bateau, j’embarque.
    — Arrête, Mimi, ne rêve pas ! Ton marin, il n’a jamais quitté les berges de la Seine.
    — T’es pas poétique, Lolo, ça te perdra.
    Je l’ai embrassée dans le cou et elle m’a proposé de recommencer comme avant, rien qu’une fois, comme quand elle m’appelait Lolo. Pour le plaisir.
    J’ai dit non quand même, lassé par avance à l’idée de me déshabiller en plein après-midi, sans raison urgente.
    — J’ai pas le temps, Mimi, pas la forme, et je ne veux pas que tu rates le marin.
    — Je vais te dire, Lolo : ou t’es un salaud ou t’es un pédé.
    Je l’ai laissée décider pour moi. On m’attendait à « La Maison rose ».
    Mado me téléphona le soir même. Ce n’était pas dans ses habitudes, aussi

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