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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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moment-là. J’étais prêt à tout entendre.
    — Elle nous fuit, Laurent, vous, moi, les autres aussi.
    Je comprenais à demi-mot. Ma mère n’était pas une femme facile à aimer, elle n’avait confiance en personne. Quand elle a connu Germain Letourneur, elle a cru, comme chaque fois, qu’elle pourrait oublier. Ensemble ils ont couru les antiquaires pour meubler cet appartement cossu, signe de leur réussite.
    — Voyez la bibliothèque anglaise, c’est elle qui l’a marchandée aux puces de Saint-Ouen ! Elle semblait guérie, décidée à être heureuse…
    L’avenir s’annonçait bien ; j’avais prévu le retour au pouvoir du général de Gaulle, alors, forcément, on a cité mon nom dans les journaux et ma clientèle a triplé en quelques semaines. C’était trop simple ! Dans la vie rien ne s’arrange comme on voudrait.
    Maria Luisa n’en demandait pas tant !
    — Si j’avais seulement su ce qu’elle voulait… D’ailleurs, allez regarder la photo dans le cadre sur mon bureau, vous verrez qu’elle était belle et qu’elle riait aux éclats.
    Ça devait finir ainsi ; une photo déjà ancienne dans un cadre en cuivre : ma mère et lui sur les grands boulevards, surpris parmi la foule, enlacés.
    Un instant de la vie d’un couple que l’on envie sans savoir la suite.
    M lle  Longin avait raison, je ne lui ressemblais pas du tout, la bouche peut-être, mais c’est tout.
    Ma mère était jeune, petite et menue. Elle portait une jupe ballon, serrée à la taille, des chaussures plates, style ballerine, et des cheveux crêpés haut sur la tête, qui lui faisaient un casque noir. La mode, hélas, de l’été 59, et c’est vrai qu’elle riait.
    Germain Letourneur se taisait. Je découvrais le visage de ma mère, lui s’en souvenait. Cette photo que je tournais dans tous les sens nous éloignait autant qu’elle nous rapprochait.
    — Je vous la donne, me dit-il au bout d’un long moment, c’est la plus belle… après…
    — Quoi, après ?
    Je n’en pouvais plus de ces phrases interrompues. Il fallait terminer.
    Je revins m’asseoir devant lui. Ma détermination l’impressionna.
    — Parlez-moi, dis-je, j’ai l’âge de comprendre.
    — Votre mère boit, Laurent, j’ai tout essayé pour l’en empêcher. C’est terrible, vous savez, une femme qui se lève la nuit pour boire… Si jeune, et intelligente… Elle est partie avec un acteur de théâtre inconnu, qui joue parfois dans les maisons de la culture autour de Paris. Elle l’avait fréquenté avant moi. M lle  Longin faisait les costumes de sa troupe. Je l’avais arrachée à ce monde braillard qui boit des bières à même la bouteille, et discute indéfiniment de politique et de culture. Voilà, Laurent, vous savez tout, ou presque.
    Il faisait sombre maintenant dans le bureau. Le soir tombe vite en automne. Germain Letourneur me regardait sans me voir. J’étais en plomb, une étrangère sur le cœur, j’allais devoir m’arranger avec elle, désormais.
    — Je vous dois combien ? dis-je par politesse.
    — Vous plaisantez, Laurent, revenez quand vous voudrez.
    — Merci, monsieur. Je vous ramènerai un tirage de la photo.
    Il m’a raccompagné à la porte de l’appartement en posant son bras sur mon épaule.
    Dans le salon, des clients attendaient leur tour.
    On ne devrait jamais consulter un astrologue.

XXIII
    Mado avait bien fait les choses. Avec la complicité de Pepa, revenue spécialement ce dimanche-là servir à table, elle avait arrangé la maison et posé des fleurs sur la cheminée de ma chambre. Des œillets rouges qui sentaient bon. Mado n’était pas superstitieuse. Moi non plus.
    Je suis descendu en pyjama comme d’habitude encore mal remis d’une nuit blanche. En m’accueillant sur le pas de la cuisine pour m’en interdire l’accès, Pepa me conseilla de m’habiller en costume.
    — On attend du monde, monsieur Laurent, me dit-elle, c’est une surprise… Madame revient tout de suite.
    Le secret avait été bien gardé. J’avais vingt et un ans et seule Mado s’en souvenait.
    En remontant me changer pour assister à la fête qui se préparait en mon honneur, j’ai pensé à l’autre femme de ma vie, celle qui, un jour d’octobre pendant la guerre, m’avait pris dans ses bras en pleurant quand on lui a dit : « C’est un garçon. »
    Dans quel théâtre ? Au cou de quel acteur était-elle pendue maintenant ?
    Se demandait-elle entre deux répétitions où

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