Un jour, je serai Roi
Chapitre 1
C E JOUR DE SEPTEMBRE 1638, le 5 précisément, Paris sombre sous des trombes d’eau glaciale et si ininterrompues qu’on viendrait à douter de l’existence du soleil. Se cache-t-il sous la nappe épaisse de nuages ? Peut-être s’est-il éteint ? Même les mécréants commencent à croire à une punition divine, tant ce maudit déluge s’acharne et dure depuis longtemps. Les esprits solides se résignent et composent avec l’idée de vivre, une bougie en main, moitié dans le gris, moitié dans le noir, et tous s’étonnent ce matin encore de ne pas trop savoir à quelle heure rattacher un ciel impénétrable. On perd le goût de sourire. On bougonne. On renâcle à sortir pour biner la pâte glaireuse des terres gorgées d’eau et de sales humeurs des potagers de la rive droite de la Seine. Depuis que la ville grandit, ces petits jardins privés, ces carrés d’Éden où le pauvre s’échine à faire pousser quelques racines cèdent peu à peu la place aux constructions en pierre, plus solides que les maisons d’autrefois, des masures bâties à la va-vite, sans l’aide d’un maçon, dans un mortier de boue qui gobe l’humidité de l’air, pourrit tout. En ce matin d’automne lugubre, Paris se calfeutre, vit vaille que vaille. Les mères interdisent aux marmots de sortir de peur d’attraper froid – de tenter la mort. Les mieux lotis louchent sur le bois de chauffe auquel il ne faut pas toucher, avant la Toussaint, peut-être jusqu’à l’Avent, si on veut tenir l’hiver. Pourquoi se risquer dehors, grelotter à cause de ces vêtements humides et moisis qui refusent de sécher ?
Ce monde est immobile, comme suspendu, et c’est peut-être aussi parce qu’aujourd’hui nobles et roturiers attendent un miracle : la naissance de l’héritier de la Couronne. Si elle se produisait, ce serait comme un éclair. Un éclat. Un rayon de soleil.
Depuis des mois, la France de Louis XIII semble figée, tel le royaume des contes enfantins envoûté par un sort. De fait, ses sujets patientent, et qu’il pleuve ou qu’il gèle, il en sera ainsi tant que canons et cloches n’auront pas annoncé qu’un fils, un Bourbon, est né. Il le faut pour mettre fin à la malédiction qui, depuis vingt-trois ans, tourne autour du couple royal. Ce serait aussi le moyen d’étouffer les esprits frondeurs qui intriguent 1 , calculent, car le pouvoir se marie mal avec l’indécision et le vide. Le présent a besoin d’un nom pour l’avenir, d’une tête à couronner demain, quand ce roi-ci sera mort. Mais Louis XIII ne s’emploie guère à faire taire les agiotages. Qu’un ange, mieux, que Dieu Lui-même souffle à cet homme de se glisser dans le lit de sa femme ! Qu’il délaisse ses mignons, qu’il oublie le modeste relais de chasse qu’il vient de faire construire à Versailles, un lieu encerclé de marais putrides que ce prince secret dit préférer aux forfanteries du Louvre ! Qu’il se rende auprès d’Anne d’Autriche, une épouse qui se languit dans la résidence royale de Saint-Germain-en-Laye !
Vaines prières. Le roi la fuit, s’en méfie, l’accuse de comploter contre lui, de soutenir son frère espagnol, Philippe IV, l’ennemi de la France. Quand, le 5 décembre 1637 – voilà donc exactement neuf mois –, par une nuit aussi glaciale que celle qui s’achève, ce seigneur qu’on surnomme le Juste, forcé par les intempéries, se détourne du chemin le menant à Saint-Maur et se rend au Louvre pour y dormir auprès de la reine. Quelques heures ont suffi pour mettre fin aux questions. Un enfant va naître. Un don de Dieu, porté par la ferveur et des milliers de suppliques tournées vers ce seul vœu : un fils pour la France. Un roi pour assurer le futur. Un roi que l’on appellerait forcément Dieudonné.
Naître est peut-être le plus facile. La mère est grosse, ronde à souhait, nourrie de lait, de fruits et de légumes. Placée au repos, Anne garde la chambre, entourée de dames de compagnie isolées de la Cour et des inquiétantes exhalaisons de ce monde. La peste menace. Dès la première contraction, la reine disposera d’une kyrielle de matrones pétries d’expérience et d’attention, de dames d’atour roucoulant en espagnol, sa langue maternelle, de barbiers aux mains agiles, prêts à panser, de savants médecins pour délivrer leurs opinions sur la vertu, la forme, la texture des chairs que la mère délivrera après la naissance. Dès que l’enfant
Weitere Kostenlose Bücher