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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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Avec de la chance, si les nouvelles sont bonnes, on lui servira ce cochon élevé en ces lieux. La chair est fameuse, tendre à souhait car ces porcs-ci, fort bien nourris, vaquent librement dans les rues voisines, faisant tinter la clochette accrochée à leur cou dodu et que tous connaissent car elle est ornée d’une croix. Les croyances font le reste. L’animal est quasi sacré. On le gave, on lui offre les restes de la misère commune en échange d’un vœu, d’une brève prière. Cochons gras de Saint-Antoine, veillez sur nous ! Et sur la Couronne. Pas un brigand, par peur de plaire au Malin, ne songerait à égorger la pitance de l’abbaye. Mais, dans ce passage plus noir que les abysses, tout reste possible.

    Le maçon s’éloigne, et si son ventre gargouille, ce n’est plus à cause de la peur. L’image d’un beau cochon de lait trotte dans sa tête. Serrant des plans sous son manteau pour éviter qu’ils soient trempés, il sortira bientôt de la rue de la Tonnellerie. Un carrosse déboulant de la rue voisine étouffe les braillements de l’enfant, mais il l’entend encore. Il est vivant, il a faim.
    Qu’attend donc sa mère pour lui donner le sein ? s’étonne Pontgallet, avant de les oublier, elle et le petit. Aujourd’hui, seul compte l’enfant que la reine doit mettre au monde.
    1 - Le fait que Louis XIII n’ait toujours pas d’héritier pousse son frère, l’ambitieux Gaston d’Orléans, à s’imaginer en roi. Ce ne sont que cabales et trahisons, tournées contre la Couronne ou Richelieu. Voir 1630, La Vengeance de Richelieu , même auteur.

    2 - Chemise de crin portée à même la peau. Instrument de mortification et de pénitence chez le dévot.

    3 - Ou Bouvart.

    4 - Expression péjorative employée par Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, pour désigner ce château très modeste et peu royal – du moins à ses débuts.

Chapitre 2
    C RÉNOM ! ACCROCHE-TOI , ma fille…
    Dans la cave que vient de dépasser le maçon Pontgallet, il y a deux femmes, si dissemblables, si opposées que leur réunion sonne contre nature.
    L’une est sans âge, marquée, plus que vieille. Elle porte les stigmates d’une vie fabriquée à coups d’indignités, de nuits noires et blanches, de débauches, d’abandons. Chez elle, le sordide domine. Le visage gravé de rides tortueuses raconte ce temps englouti dans les excès de la chair, l’offrande vénale aux hommes de passage pour un rien, une chopine de vin, pour le plaisir, parfois. Elle paraît encore solide, ses avant-bras sont noueux, ses mains puissantes. Qui était-elle avant que sa bouche s’édente, ses yeux s’injectent de sang, sa chevelure se grise, se raidisse, s’effiloche ? Qui habitait ce corps avant qu’il ne devienne repoussant, même pour le plus affamé des soudards ? Cette sorcière ressemblait-elle à la jeune fille qu’elle secoue sans le moindre égard, houspille maintenant, celle qui vient d’accoucher et que l’on devine, à l’inverse, délicate, innocente, fragile au point de défaillir ?
    La vieille grimace hideusement :
    — Ne t’endors pas ! L’enfant a besoin de toi.
    C’est dit froidement. C’est un ordre.
    Mais la faible femme ferme les yeux. Plus encore que son âge (a-t-elle seize ans ?), sa pureté et son innocence attendriraient le cœur le mieux barricadé, même celui de Pontgallet, si ce dernier avait eu la crânerie de regarder par le soupirail. L’étonnement lui serait venu. Tant de grâce et de beauté dans ces lieux misérables l’auraient forcé à s’interroger. À quel monde appartient-elle ? En oubliant la cave et les braillements de la laideronne, on l’imagine honnête roturière, pauvre mais intègre. Sa mine est défaite, sa peau crayeuse tranche avec le gris du sale drap de la couche dans lequel elle se trouve allongée, épuisée. Elle cherche à reprendre des forces, s’y emploie en avalant par petites touches un air qui brûle sa gorge. Ce n’est rien, cherche-t-elle à se rassurer. Quand elle aura rassemblé le courage abandonné dans le travail de la nuit, elle offrira son lait au petit qui, aussitôt, a été éloigné d’elle, mais dont elle sait qu’il s’agit d’un fils. Sainte Vierge, Mère bienfaitrice, prie-t-elle en silence , le Vôtre est né dans la paille. Pourtant, il vécut. Par pitié, accomplissez un miracle. Elle desserre une bouche que la fièvre crevasse. Elle voudrait parler à l’enfant, lui dire : Patience, mon adoré, maman se repose,

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