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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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cherche à revivre. Elle t’aime, n’en doute pas, et veut te protéger. Bientôt, elle te secourra. Donne-lui un peu de temps avant que la vie reprenne, commence pour nous deux. Les forces lui manquent. Plus tard, oui. Tout reviendra sûrement.
    — Debout, ma fille !
    C’est le ton sans amour, la voix intraitable de celle qui, la nuit, houspillait la malheureuse afin de hâter le jaillissement du petit corps. L’ignoble matrone est une devineresse du Pont-Neuf achetée dix sols pour glisser ses mains crasseuses entre les cuisses de la pauvresse afin de couper le cordon.
    — La garce est étroite. Écarte les jambes, raillait l’ordurière peu avant que l’enfant ne vienne. Tu sais comment faire. Sinon, tu ne serais pas avec moi à dodeliner de la tête !
    Une fois, en effet, mais on l’avait forcée. Une fois avait suffi pour qu’elle tombe enceinte.
    — Mordiou ! La tête est grosse. Pousse ! Foutre de merde, pousse encore ! Tu étouffes ton propre gosse !
    Tous les saints du ciel savent que la mère et son enfant n’ont pas ménagé leurs efforts, ont partagé le travail pour trouver, chacun à sa façon, le chemin vers la lumière. Après neuf mois de vie commune, de gigotements, de petits coups dans le ventre pour dire je suis là , auxquels répondait une voix rassurante, murmurant pour ce seul être, je t’entends , ces deux-là se connaissent presque parfaitement.
    — Pousse ! Ah ! je vois ses cheveux. Voilà qu’il se décide… Ce diable est pressé. Il vient d’un coup. Veux-tu que je devine son sexe ? Une catin ? Ou une arsouille qui engrossera des filles comme toi ?
    Cette nuit, les mots de la sorcière l’ont blessée tout autant que la torture qui lui déchirait le ventre. Si forte, si brûlante que depuis, elle n’a pu desserrer les mâchoires.
    — Un fils ! Un bougre de costaud. Il te faudra beaucoup de lait pour le nourrir, rugissait la devineresse en brandissant le nouveau-né par les pieds, tête en bas, comme le lapin qu’on égorge et qu’on vide de son sang. Un coup sec sur les fesses, un autre.
    Suffoquant de peur et de douleur, le petit avait produit son premier cri, crachant un peu de sang et de matières fœtales à l’instant où Pontgallet passait devant le soupirail. Sur sa couche, sa mère, toujours incapable de se relever, n’avait que des larmes à offrir pour supplier la sorcière d’approcher et de lui donner son enfant, qu’elle le prenne dans ses bras, le caresse, le rassure, que les deux se rencontrent, se frottent à la peau de l’autre et gazouillent de concert pour se dire combien ils s’aimaient déjà.
    Marie, je m’appelle ainsi…
    La jeune femme a répété mille fois ces mots, décidant qu’elle se présenterait aussi simplement à lui. Mais le voici au loin, allongé sur une table encombrée de victuailles et d’un pot de vin que l’accoucheuse a vidé en deux, trois rasades pour se donner, s’est excusée la soiffarde, du cœur à l’ouvrage. Marie lève un bras, le repose, tourne la tête, elle voudrait voir, baiser, caresser la chair de sa chair. Qu’on lui donne un instant ce qui est à elle. Pourtant, la vieille approche seule. Elle pue.
    — Plus tard. D’abord, tu te lèves. Allez, fainéante, bouge-toi. Si tu veux le gosse, viens le chercher. Montre-moi que tu en es capable.
    Marie est lourde, comme paralysée, gourde des membres. Elle implore le Tout-Puissant. Dans Son infinie bonté, lui rendra-t-Il l’allant, la douce légèreté, et cette joie de vivre qui, avant qu’un homme brutal et monstrueux ne la force à s’offrir, prédisait un avenir prometteur ? Que le Seigneur permette à Marie de recouvrer sa joie. D’abord, qu’Il l’aide à remettre en mouvement ce corps roide comme celui d’une morte. Et Dieu entend-il cette prière ?
    — Montrez-le moi, vient enfin de chuchoter la jeune maman.
    La vieille fait la sourde oreille et, tournant le dos, retourne du pied la terre battue du sol afin que le sang et les restes du gâteau 1 disparaissent dans la sciure épaisse et sombre. Ce soir, les rats auront tout pris. Un regard vers Marie. Désormais, ses yeux sont clos. Il se peut qu’elle ait renoncé.

    La devineresse connaît son métier. La mère lui semble trop faible pour allaiter le poupon. Il vaudrait mieux qu’il meurt de suite, avant que les sentiments s’attachent à ce corps maigrichon qui couine son malheur. Il a faim. Qui viendra à son secours ? Pas elle, pas la sorcière. Une nourrice, mais ça

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