Un jour, je serai Roi
défilent depuis le mariage du roi ? Vingt-trois. Et rien. Trois neuvaines pourront-elles rompre la malédiction ?
— Aujourd’hui, le miracle s’est-il produit grâce à nous tous ?
Seul l’écho s’interpose et se meurt peu à peu.
— Avant l’office, reprend-il cependant, j’ai reçu le témoignage d’un séminariste attaché à l’église de Notre-Dame-de-Grâces, ce saint pèlerinage, situé à Cotignac, en Provence 1 .
Il se penche vers l’auditoire, les mains posées sur le bord de la chaire :
— Il croit à la sincérité du moine pour avoir reconnu, dans sa description, la Vierge déjà apparue en ces lieux miraculeux. Il a foi en Dieu. Marie nous viendra en aide, par amour et par charité. Mais a-t-on répondu à son appel ? martèle-t-il. A-t-on cru honnêtement ?
Des pieds raclent le sol. On tousse. On soupire. Rien de plus. Combien, à cet instant, regrettent de ne pas avoir consacré plus de temps à la prière ?
— Corrigeons notre désinvolture. Ensemble, adressons-nous à la Vierge. Prions tous d’une même voix.
La contrition est un acte intime, personnel ; la méthode dont use Chamans de La Salle, audacieuse, inhabituelle. Mais la grâce qu’il réclame est prodigieuse, le moment exceptionnel. Un miracle ? Le prêtre a joint les mains, il ferme les yeux, prononce les premiers mots :
— Je vous salue Marie, pleine de grâce. Le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus…
Ne monte vers la voûte qu’un chuchotement. Chamans de La Salle hausse le ton, lève les bras, scande chaque syllabe tel un maître de musique. La méthode produit son effet. L’âme se libère peu à peu. C’est un bourdonnement, puis une plainte, une vague qui enfle, pénètre les cœurs, bientôt, un roulement de tambour, une clameur où chacun mêle sa foi. Lorsque la prière s’achève sur un murmure, Chamans de La Salle reprend de plus belle. Je vous salue Marie… Emportées par la ferveur, les têtes se courbent, les mains se cherchent et s’unissent, les corps, saisis d’adoration, se rapprochent, se serrent, et ne font qu’un.
Y a-t-il déjà eu tant d’ardeur et de vénération à Saint-Germain-l’Auxerrois ? Soudain, le jésuite se redresse et se fige. Maintenant, il ne prie plus. Plongés dans la récitation, les fidèles poursuivent encore la litanie, mais, sans guide, l’harmonie se délite. Ils se taisent, un à un, lentement, à regret. Et ils ouvrent les yeux.
— Entendez-vous ? clame Chamans de La Salle.
Et Jésus, le fruit de vos entrailles est béni…
Un dernier fidèle continue seul la prière.
— Entendez-vous ? répète le prêtre.
Cela vient de dehors. Un chant aigu, fragile, indécis, arrivant de loin, d’au-delà de la Seine.
— Les cloches de Notre-Dame, chuchote le révérend père. Et, à cette heure, il n’y a pas d’office…
Tous tendent l’oreille. Oui, c’est bien le choc des battants sur le bronze. Et maintenant, n’est-ce pas le son du canon ?
— Ouvrez les portes ! hurle-t-il.
Dix hommes sont à l’action, pesant sur les lourdes ouvertures de toutes leurs forces. Le tintement se rapproche, entre dans Saint-Germain-l’Auxerrois. La volée se mêle au désordre qui règne dans l’église, tandis qu’au loin les canons tirent et cognent à nouveau. C’est la batterie des Tuileries. Maintenant, les mortiers du Louvre envoient leur réponse. Le fracas enfle, déborde, la foule sort en désordre, talonnée par le père s’accrochant à sa soutane pour ne pas se prendre les pieds dedans.
Dehors, la pluie a cessé. Un ciel bleu, fort, éclatant illumine Paris. Un miracle s’est-il produit ? Un homme parti en courant vers le Louvre en revient, le souffle court, les jambes flageolantes. Il avance tel Phidippidès 2 et se jette dans les bras du prêtre.
— Un fils, bredouille-t-il.
— Quoi ? Répétez !
— Un fils. Dieu nous a donné un Dauphin… La nouvelle arrive de Saint-Germain-en-Laye.
Le révérend père Philippe Chamans de La Salle, comme tous les fidèles, s’agenouille, ne doutant plus qu’il s’agisse d’un miracle.
1 - Notre-Dame-de-Grâces est un sanctuaire marial depuis que la Vierge y est apparue avec l’Enfant Jésus en 1519 entourée de l’archange saint Michel et de saint Bernard. Louis XIV s’y est rendu afin de remercier Marie de la grâce de sa naissance, ainsi obtenue.
2 - Chargé de porter à Athènes la victoire de Miltiade contre les Perses à Marathon (490 av.
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