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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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arrangement.
     

    Un beau matin, le mobilier ancien, les porcelaines, l'argenterie, les portraits des ancêtres Cornfield, l'orgue de lord Simon, les centaines de livres de la bibliothèque du manoir, ainsi que les caisses contenant les archives des Cornfield – la mémoire de Soledad – conservées et classées depuis Charles II, furent chargés sur le Phoenix II . Le même soir, lord Pacal fit, à Cornfield Manor, ses adieux devant le cercle des intimes, clairsemé par la mort.
     
    – Avec la génération de mon fils, George, commence une ère nouvelle pour Soledad. Une exploitation, mieux organisée et plus rentable, de nos ressources naturelles, éponges, primeurs, pêche, bimbeloterie sera sans doute bénéfique à tous. Le tourisme, surtout, donnera accès aux beautés de notre archipel à tous les étrangers, attirés par le doux climat de nos îles. Vous tous connaîtrez, j'en suis sûr, de nouveaux bonheurs. Le mien est désormais ailleurs, acheva-t-il, suscitant l'émotion sincère des invités.
     
    Comme il se retirait pour passer, en dépit d'un inconfort manifeste, sa dernière nuit à Cornfield Manor, lord Pacal trouva Timbo au pied de l'escalier.
     
    – Je voud'ais que Sa Seigneu'ie m'emmène avec elle. Je suis tout seul : plus de femme, pas des enfants, quoi je vais fai'e, avec cette jeunesse qu'ar''ive. Je suis si vieux, my lord , je vous demande : emmenez-moi.
     
    – Quel âge as-tu ?
     
    – On sait pas sû'. Je c'ois j'avais dix ou douze quand vot' papa est ar''vé, en 53.
     
    – Ça te fait donc pas loin de quatre-vingts ans.
     
    – Mais, suis enco'e solide, bon au t'avail.
     
    – Je sais. Mais, Timbo, l'Auvergne est un pays froid. Tu n'as jamais vu de neige, mais l'hiver, là-bas, il en tombe des quantités, dit Pacal.
     
    – J'ai vu la neige sur le jou'nal, Mais y a des g'andes cheminées, on m'a dit. Alo's on fait un bon feu, voilà.
     
    – Il est tard,Timbo. Éteins les lampes et va te coucher, ordonna le lord, sans donner de réponse.
     
    L'Arawak, déçu, se retira en soupirant.
     

    Au matin, toute la population du Cornfieldshire, alliance, jusque-là harmonieuse, de Blancs, Noirs, métis, mulâtres accompagna Pacal au port occidental. Palako-Mata, vieillard à demi impotent, porté par ses petits-fils, dans son palanquin de cérémonie, vint offrir au lord un coffret, fait de branchettes de yucca tressées, qui contenait une pierre polie, gravée de signes étranges.
     
    – C'est une pierre de vie, apportée, il y a cent mille lunes, à Soledad, par nos ancêtres, chassés d'Amérique par les Carib. Elle vous protégera, dit le cacique.
     
    Lord Pacal donna l'accolade à son vieil ami et gravit le chemin-planche, d'un pas ferme, sans se retourner.
     
    Le bosco, devant l'équipage aligné, siffla le protocolaire « Passe du monde sur le bord ». Pacal répondit à ce salut, se dirigea vers l'arrière et disparut dans son appartement. Pas plus que lord Simon, il ne supportait les adieux larmoyants.
     
    Il reparut quand le vapeur se fut éloigné du rivage et s'accouda à la lisse. Sous l'incandescence du soleil de midi, l'Océan exhalait le fluide trompeur des mirages. Derrière ce linceul de tulle vaporeux, l'île ne fut plus bientôt qu'un plat jardin, dominé par le mont de la Chèvre.
     
    John Maitland vint près du lord, devinant l'émotion qui l'étreignait. Ils échangèrent un regard, puis un sourire contraint.
     
    Pacal cita Milton :
     
    – « Ils jetèrent leurs regards en arrière, et virent toute la partie orientale du Paradis, naguère leur demeure fortunée, onduler sous le flamboyant brandon. »
     
    Un long silence s'instaura. Maitland hésita à interrompre la méditation de lord Pacal, puis se résolut à parler.
     
    – Je n'ai pas voulu vous le dire plus tôt, mais nous avons, à bord, un passager clandestin, my lord . Dois-je le débarquer sur-le-champ et le renvoyer à terre, avec un canot ? C'est Timbo, my lord .
     
    Pacal ne parut pas surpris.
     
    – Dites-lui plutôt de nous préparer un pink gin bien dosé, commandant. C'est le meilleur antidote au poison des vaines nostalgies, présentes et à venir, ordonna le dernier lord des Bahamas.
     
    1 Américains et Anglais durent attendre le 26 juillet 1920 pour disputer une nouvelle America 's Cup. Une fois de plus, le Shamrock IV de sir Tea fut battu par le Resolute . Et l'aiguière d'argent de Victoria resta à Manhattan.
     
    2 Le Karlsruhe , plus

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