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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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été inimaginable sous le règne de lord Simon.
     
    Dans son cadre tarabiscoté, le baronet, portraituré à l'âge mûr, en habit, parut froncer le sourcil. L'abandon qu'il eût condamné était imputable à son petit-fils, tant choyé.
     
    Pacal admit que cette situation trouvait son origine dans son mariage avec l'Américaine Susan Buchanan, dont la lointaine ascendance européenne avait fait illusion et influencé son engagement, plus qu'il n'en avait, jusque-là, pris conscience. En acceptant que leur fils naquît aux États-Unis et fût citoyen américain, il avait interrompu la transmission du titre de lord et des privilèges afférents. George était son héritier, il n'était pas son successeur.
     
    Dernier titulaire d'une seigneurie coloniale, Pacal prit soudain conscience que le génie de Soledad survivrait en lui et nulle part ailleurs. Il ne léguerait à son fils qu'une île comme une autre, une grande conque vidée de sa mémoire. Le regard de son grand-père lui parut aussitôt moins sévère, presque encourageant.
     
    Il prit alors la décision la plus importante de sa vie : il allait remettre le destin du domaine à son fils. Puis il quitterait Soledad pour n'y plus revenir. Un vieux château l'attendait en Auvergne. Ce serait son refuge et sa tombe. Les Bahamas étaient à vendre. Soledad un paradis perdu.
     

    Cette nuit-là, lord Pacal dormit sans rêves, du sommeil de qui a maîtrisé son destin.
     
    Après le breakfast, qu'il prit copieux et avec appétit, il envoya chercher George et Artcliff et leur fit part de sa décision, sans accepter qu'elle fût discutée.
     
    – Mais, père, qu'allez-vous devenir ? s'enquit George.
     
    – Tu as tort de te presser. Que vas-tu faire, en Auvergne, au milieu des paysans ? ajouta Thomas.
     
    – Ne croyez surtout pas que je quitte Soledad malheureux ou amer. Pas du tout. Mon départ est une nouvelle naissance. À soixante-trois ans, je suis sain de corps et d'esprit. Uncle Dave disait que le mélange de sang, français, anglais, arawak garantit une belle longévité.
     
    – Ce que nous te souhaitons de tout cœur, dit Thomas.
     
    – Ce que j'ai à vous dire maintenant, Thomas, peut-être, va le comprendre, mais toi George, tu ne comprendras que plus tard. J'ai eu, longtemps, l'existence privilégiée d'un nabab des tropiques. Je suis né et j'ai vécu dans le plus bel écrin naturel qu'on pût rêver, posé au milieu de l'Océan. J'ai aussi connu la vie américaine, trépidante et puritaine, le charme de la vieille Angleterre, la saison mondaine de Londres, l'élégance des Parisiennes, la liberté sans entraves de l'esprit français. Ayant fait le tour de tout cela, je veux maintenant me lover dans les bras de la vieille Europe, mère des arts, des sciences et des plaisirs sans façons. Ulysse encore vert, je veux gravir l'Acropole, m'asseoir au Colisée, rêver dans les jardins de Grenade, voir, à Dresde, les collections d'Auguste le Fort, humer le printemps toscan, approcher le mont Blanc enneigé, chasser le renne en Finlande, descendre le Rhin, mais aussi m'amuser aux Folies Bergère, flâner sur les quais de la Seine, fouiller les casiers des bouquinistes, manger une omelette dans un bistrot, me perdre dans la foule. Esteyrac sera mon port d'attache. N'est-ce pas, aussi, la terre de mes ancêtres ? Alors, ne soyez pas inquiets. Je suis un homme libre et heureux, conclut lord Pacal.
     
    Devant la mine effarée de ses interlocuteurs, il se mit à rire.
     
    – George, ne regarde pas ton père comme s'il était devenu fou. Thomas, lui, a compris. Et peut-être m'envie-t-il, dit Pacal.
     
    – Je t'ai toujours envié. Mais, aujourd'hui, tu me transportes, concéda Thomas.
     
    – L'ouragan ayant eu la courtoisie d'épargner ma cave, j'ai fait mettre quelques bouteilles de champagne au frais, conclut Pacal.
     
    – Une nouvelle naissance, ça s'arrose, convint Thomas en donnant à son ami une accolade fraternelle.
     

    En quelques jours, les affaires furent réglées par les notaires, et George reçut les actes de pleine jouissance de Soledad, maintenant simple domaine privé. Le temps où les Cornfield faisaient, depuis 1640, la loi sans entrave sur leur île, était révolu. George eût préféré que son père restât propriétaire en titre et le laissât gérer à sa guise, tout en bénéficiant des privilèges ancestraux. Pacal, dernier rejeton des Cornfield du XVII e  siècle, avait refusé cet

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