Un vent d'acier
rien, elle s’était fait conduire à l’hôtel de la Providence, rue des Vieux-Augustins, indiqué par « un des hommes qui étaient au bureau des Messageries ». Fatiguée de ses deux nuits en diligence, elle avait dormi tout ce jour. Vers le soir, descendant demander à l’hôtesse si Marat allait régulièrement à la Convention, elle avait été stupéfaite d’entendre cette femme lui répondre qu’elle ignorait tout de la Convention et ne connaissait pas davantage ce citoyen. La naïve provinciale s’imaginait Paris tout occupé de l’atroce personnage auquel les Brissotins réfugiés en Normandie donnaient tant d’importance. Elle aurait voulu l’immoler d’une manière éclatante, au sommet de l’odieuse Montagne, ou, mieux encore, en plein Champ-de-Mars, pendant la fête du 14. Mais on ne célébrerait pas la Fédération, tant que la France serait divisée par les fédéralistes. Se rendant compte, après avoir en vain, dans la journée du 12, essayé de rencontrer Marat aux Tuileries, que même si elle le trouvait là elle ne pourrait l’approcher, elle avait résolu de le tuer chez lui. Pour cela, elle était sortie ce matin dès six heures, afin de se procurer l’instrument nécessaire. Elle ne savait point que les boutiques ne s’ouvraient pas si tôt, à Paris. Il lui fallut, dit-elle, attendre longtemps, avant d’acheter pour deux francs un couteau sous les arcades du Palais-Égalité. Un fort couteau de cuisine dans un étui en papier. Gagnant alors la place des Victoires-Nationales, dont elle connaissait la station de fiacres pour l’avoir vue en débarquant l’avant-veille, elle avait demandé au premier cocher de la mener chez Marat. Le « tyran sanguinaire » ne semblait guère plus familier à cet homme qu’à la patronne de la Providence. Il finit cependant par apprendre d’un confrère, lecteur de l’Ami du peuple, où logeait le citoyen Marat. Mais la visiteuse, portant le couteau caché sous son fichu, ne fut pas admise. Malgré ses insistances, Catherine reconduisit. Elle dut se retirer, laissant une lettre écrite dans cette éventualité : « Citoyen, j’arrive de Caen. Votre amour pour la patrie me fait présumer que vous connaîtrez avec plaisir les malheureux événements de cette partie de la république. Je me présenterai de nouveau chez vous. Ayez la bonté de me recevoir et de m’accorder un moment d’entretien. Je vous mettrai à même de rendre un grand service à la France. » Retournée à l’hôtel, la jeune fille en ressortit le soir vers six heures après avoir changé de robe, arrêta dans la rue un nouveau cocher auquel elle n’eut point de peine, cette fois, à donner l’adresse.
Le témoignage sanglotant de Simone, celui de Catherine, de Jeannette qui avait ouvert la porte, de la citoyenne Aubin occupée à plier le dernier numéro du Publiciste de la République – quant à la sœur de Marat, Albertine, elle n’était pas là, elle séjournait en Suisse – corroboraient le reste.
Simone Évrard se trouvait dans le cabinet du fond, avec Marat. Elle venait d’introduire auprès de lui le jeune citoyen Pillet. Il apportait une facture pour du papier que le commissionnaire Laurent Bas entreposait en ce moment même dans le cabinet de travail où se faisaient presque toutes les manipulations des journaux. Marat, dans son bain médicamenteux, vérifiait et signait ce compte, lorsqu’on entendit la sonnette puis des bruits de voix dans l’antichambre. En raccompagnant le jeune homme, Simone vit sa sœur et la portière discutant avec une solliciteuse. Quand elle sut que celle-ci était déjà venue le matin et avait laissé une lettre, elle crut bon de demander à son ami s’il voulait recevoir cette personne. Elle présentait le meilleur aspect, on n’aurait pas à craindre d’elle la moindre chose, sinon d’être un peu bien séduisante.
Jean-Paul ayant acquiescé, Simone vint chercher la jeune femme, la conduisit à travers la salle à manger puis la petite pièce communiquant avec la chambre et le cabinet de bains où elle fit entrer la visiteuse. Elle referma la porte et s’en alla rejoindre sa sœur qui préparait pour Marat sa potion à l’argile et à l’eau de mauve.
Pas trop satisfaite cependant de laisser son amant enfermé avec cette jeune et jolie fille, la brune Simone, après un instant, prit le remède des mains de Catherine pour retourner au cabinet. Quand elle entra, la visiteuse était assise, le dos à la
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