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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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pour chroniquer l’exécution. Le seul hôtel de l’endroit, le Weskora,
ayant brûlé la semaine précédente, les journalistes furent obligés de se
rabattre sur l’unique pension de la ville, qui augmenta tant ses prix que
certains payèrent l’habitant pour dormir dans une chambre d’enfants ou sur un
canapé. On tira des lignes de télégraphe supplémentaires le long de Dunstan Avenue,
entre Ossining et la prison ; le New York Daily News loua pour
cinquante dollars une baraque à hot-dogs délabrée située près de la porte
principale et la transforma en bureau avec son propre relais
télégraphique ; en ville, les téléphones se louaient un dollar la minute.
    Catherine, l’épouse du gouverneur Smith, avait été terrassée
par une crise d’appendicite alors que le couple devait passer la nuit au
luxueux hôtel Biltmore, à l’intersection de Madison Avenue et de la 43 e  Rue,
et, à six heures du soir, ce jeudi-là, les reporters qui traînaient dans le
hall pour glaner des nouvelles furent en définitive convoqués dans la suite du
gouverneur, au treizième étage, où Smith leur lut sa décision quant aux recours
en grâce.
    « Dans le cas d’une femme, l’exécution d’un tel
jugement est si pénible, déclama-t-il, que j’espérais voir cet appel aboutir à
la divulgation de faits justifiant mon intervention dans la procédure
judiciaire. Mais tel n’a pas été le cas. J’ai cherché en vain la moindre base
sur laquelle je pourrais, en conscience, à la lumière du serment que j’ai
prêté, me fonder pour tempérer la rigueur de la loi par la clémence. »
    Il devait admettre qu’il était d’accord avec les douze jurés
et les sept juges de la Cour suprême ; il opposait par conséquent son
refus à la demande de grâce et, levant la main pour prévenir toute question, il
partit au chevet de son épouse à l’hôpital.
    Lorsqu’elle prit connaissance de la nouvelle ce mercredi-là,
Ruth vida son compte à la banque de la prison et engloutit pour cinq dollars de
chocolat. Comme elle signait laborieusement des documents légaux, elle
lâcha :
    « Je suis une mère de trente-deux ans dans la fleur de
l’âge et on va m’exécuter. Ça semble injuste. Oh, il faudra bien que j’y passe.
Mais je suis encore si jeune et pleine de vie que c’en est dommage. »
    Les formulaires requéraient six signatures, mais Ruth
divaguait tellement qu’il n’y en eut pas deux semblables. L’avocat de Ruth
raconta à la presse : « Mrs Snyder a l’air d’une morte. Quand
elle a posé sa main sur la mienne, elle était froide comme de la glace. Son
visage était rougi par les larmes. Avant mon arrivée, elle était demeurée
allongée toute la journée. »
    À l’inverse, le père George Murphy, qui avait délaissé la
prison du comté du Queens pour rendre une ultime visite à Ruth à Sing Sing,
rapporta à Mrs Josephine Brown que sa fille dévoyée lui avait paru emplie
de sérénité et armée pour l’épreuve à venir.
    « Elle a même souri quand je suis parti. Du beau
sourire empreint de spiritualité de ceux qui sont en paix avec le
Créateur. »
    Ruth lui avait fourni des instructions quant à ses obsèques.
    « Souvenez-vous : un enterrement des plus simples,
pas de messe, pas d’épitaphe, très dépouillé. Je veux quitter ce monde ainsi
que j’y suis entrée – comme une âme nue. »
    Elle devait être enterrée au cimetière de Woodlawn, dans le
Bronx, sous une pierre tombale portant son nom de jeune fille :
« May R. Brown ». Elle demanda au père Murphy de
« prononcer simplement quelques prières au-dessus de ma tombe avant que ma
dépouille rejoigne la terre » et lui confia : « J’ai dédié ma
communion à Judd, dimanche dernier – je n’ai plus de haine dans mon cœur
et je crois que lui non plus. »
    Judd signa les documents entérinant la cession à
Mrs Isabel Gray d’environ sept mille dollars en titres et en actions et du
pavillon de Wayne Avenue. Elle était aussi la seule bénéficiaire du contrat
qu’il avait souscrit auprès de l’Union Life Insurance Company de Cincinnati et
devait recevoir un chèque de vingt-cinq mille dollars le 13 janvier. Isabel
resterait à Norwalk, dans le Connecticut, où elle deviendrait bénévole de
l’association féminine de l’église épiscopale de la Grâce et mourrait en 1957,
à l’âge de soixante-cinq ans.
    Huit mois d’achats de tabac et de menus frais n’avaient
laissé que vingt

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