Une veuve romaine
sans succès. L’une d’elles, un sénateur ami, avait tenté de plaider ma cause devant Vespasien. Évidemment, cet Anacrites de malheur avait usé de son influence pour l’empêcher d’obtenir une audience. L’autre était mon camarade Petronius Longus. Petro, capitaine de la garde aventine, était arrivé à la prison avec une jarre de vin coincée sous le bras pour faire ami-ami avec le geôlier. Il s’était fait jeter à la rue avec son amphore : Anacrites avait même réussi à gangrener les traditions locales ! Donc, à cause de la jalousie du chef espion, je pouvais craindre de ne plus jamais être un citoyen libre…
La porte s’ouvrit à la volée, laissant passer une voix grinçante.
— Didius Falco, il y a encore quelqu’un qui t’aime ! Arrête de te prélasser et amène-toi par ici.
Au moment où je fis l’effort de me lever, le rat passa en courant sur mon pied.
2
Mes ennuis étaient terminés – partiellement.
Je me traînai en trébuchant jusqu’à ce qui tenait lieu de hall d’accueil. J’y trouvai le geôlier en train de faire coulisser le cordon d’un grand sac, l’air aussi épanoui que s’il fêtait son anniversaire. Même ses acolytes crasseux semblaient impressionnés par l’importance du pot-de-vin. La lumière m’obligeait à cligner des yeux, mais je finis par distinguer une petite silhouette très droite dont le visage fermé se tordit d’une grimace en me voyant apparaître.
La société romaine est juste. Certes, il existe à Rome quantité de culs-de-basse-fosse où les préfets gardent leurs prisonniers enchaînés, prêts à être torturés quand toutes les autres distractions sont épuisées. Cependant, à moins d’avoir commis un acte épouvantable – ou d’avoir bêtement avoué –, tout suspect a le droit de trouver un protecteur qui se porte caution pour lui.
— Bonjour, mère !
Je me demandai jusqu’à quel point je n’étais pas mieux dans la cellule avec le rat.
Son expression m’accusait d’être aussi dégénéré que mon père – qui pourtant (même s’il avait levé le pied avec une rouquine en abandonnant ma pauvre maman et ses sept enfants) n’avait jamais séjourné en prison… Heureusement, ma mère était trop loyale envers notre famille pour se laisser aller à établir cette comparaison devant des étrangers. Elle se contenta donc de remercier le geôlier.
— Anacrites semble t’avoir oublié, Falco ! ricana ce dernier.
— C’était sans doute son intention.
— Il n’a pas parlé de liberté sous caution avant le procès…
— Il n’a pas parlé de procès non plus, aboyai-je. Me garder prisonnier sans m’avoir présenté à un tribunal est aussi illégal que de refuser ma liberté sous caution !
— Eh bien, s’il décide de te poursuivre…
— Tu n’auras qu’à siffler, lui conseillai-je. Bien qu’innocent, je regagnerai ma cellule en un clin d’œil.
— C’est sûr, Falco ?
— C’est sûr ! mentis-je allègrement.
Une fois dehors, je m’emplis les poumons d’une grande bouffée de liberté. Je le regrettai sur-le-champ. Nous nous trouvions en face du Forum et, autour du Rostrum, l’atmosphère était aussi fétide que celle des boyaux de la Lautumiæ. Les membres de l’aristocratie s’étaient repliés dans leurs villas d’été, bien aérées ; mais les gens de notre milieu, obligés de rester à Rome, vivaient au ralenti. Dans cette fournaise, le moindre mouvement devenait un tourment.
Ma mère observait son gibier de potence, l’air tout à fait imperturbable.
— Un simple malentendu, maman… affirmai-je, en essayant d’empêcher mon expression de me trahir.
Pour un détective privé de ma réputation, être tiré d’affaire par sa mère représente une indignité à éviter.
— Qui a offert cette caution appréciable ? Helena ? demandai-je, en faisant référence à la petite amie de la haute que je m’étais trouvée six mois auparavant.
Cela me changeait des artistes de cirque couvertes de piqûres de puces et des marchandes de fleurs.
— Non, c’est moi qui ai payé la caution. Helena s’est occupée de ton loyer…
Mon cœur se serra en évoquant le soutien que venaient de m’apporter les femmes de ma vie. Je savais qu’elles me le feraient payer, même si ce n’était pas en espèces sonnantes et trébuchantes.
— … L’argent n’a aucune importance. (Et pourtant, le ton de ma mère impliquait qu’avec un fils tel que moi,
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